- André Salmon, « Fagus, critique d’art », L’Intransigeant, 21 novembre 1933, p. 6 :
Repose en paix, cher Fagus, poète royaliste et catholique, dors en terre chrétienne, passant de Paris tué sur le pavé du roi, en ta rue Visconti au souvenir racinien.
Il y a trente ans tout juste, Fagus était encore anarchiste. Il déclamait aux « Soirées de la Plume », la ballade au refrain fameux :
Hardi les gars, c’est Germinal,
Qui fera lever les semailles…
Tout naturellement, il collaborait à la Revue Blanche, accueillante aux écrivains liberta&ires. Signant alors Félicien Fagus, il y collaborait en poète et en critique d’art.
Qui se souvient, parmi les rescapés de ces temps trop mal connus, du fringant Paul Morand, de la première exposition du si jeune Pablo Picasso ? Peu d’amateurs, peu de critiques y prirent garde. Félicien Fagus se montra entre tous curieux d’un art si neuf, à son aurore. Picasso était encore imprégné de Lautrec, mais savait déjà communiquer le « frisson nouveau » à qui prenait la peine de regarder d’un peu près. Le premier article consacré au Malaguène fut celui de Félicien Fagus.
Lorsque nous fîmes, Apollinaire et moi, la connaissance de Picasso, nous savions déjà beaucoup de lui, non seulement par son camarade Manolo (le sculpteur Manuel Huguet) rencontré au petit bistrot de la rue de Seine dit « A l’Odéon », chez Ginisty, là où s’ouvre aujourd’hui la rue Callot et fleurissent les petites galeries, mais encore par Fagus. Dans l’atelier de Pablo, le Testament de ma vie première figurait à la place d’honneur : un tub dans lequel s’entassaient les meilleurs livres du jour, dont l’Arbre de Claudel.
A la Revue Blanche, et ailleurs, Fagus se dépensa, non sans candeur, au profit (?) de ce préraphaélisme socialiste introduit en France par Stuart Merrill et qui devait doter les foyers ouvriers d’assiettes émouvantes mais qui n’ont pas, hélas ! la vertu d’ajouter du beurre à la soupe.
Fagus fréquenta beaucoup chez Rodin. Charles Morice l’eût voulu voir collaborer à notre page d’art de Paris-Journal, aux beaux jours du Courrier des Ateliers. Mais Fagus laissa les beaux-arts en même temps que son prénom emprunté, Félicien.
Pauvre, Fagus possédait deux ou trois rares témoignages de l’âge pré-picassiste et rodinesque. Pauvre, il les voulait offrir à l’État. Je lui recommandai d’en jouir. C’était en juillet dernier. L’État n’aura pas trop attendu.