Aujourd’hui grandement oublié, le poète et critique Fagus (1872-1933) eut pourtant une certaine notoriété dans l’entre-deux-guerres. On le présentait souvent comme un « homme du Moyen-Âge » — lui-même signait ainsi —, ce qui signifiait entre autres qu’étant d’une farouche indépendance il dédaignait les modes et préférait s’évader au temps des cathédrales. Il avait d’ailleurs l’allure d’un saint du Moyen-Âge avec son éternelle pèlerine à capuchon. Cependant, à bien lire l’œuvre et à considérer sa vie, on s’aperçoit qu’il était de son temps — il fut une figure remarquable du symbolisme et du post-symbolisme, il croisa la route amicale de Jarry, Rodin, Picasso, Apollinaire, Léautaud ; il participa à de grands débats de l’époque — et que c’est peut-être en cela qu’il reste un écrivain médiéval, dans le sens où ces trente premières années du vingtième siècle sont devenues pour nous une sorte de Moyen-Âge. Le destin de Fagus le fit mourir au début des années trente — renversé en bas de chez lui, dans sa chère rue Visconti, par un camion ; tous ses proches ont témoigné qu’il connaissait ce destin, répétant « Je mourrai écrasé sur la voix publique » — et il fait partie d’une large communauté d’écrivains qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, disparurent à la trappe de l’histoire littéraire officielle, qui sait souvent se révéler bien bête. Aussi avons-nous l’ambition de faire redécouvrir la personne et l’œuvre de Fagus, injustement négligée depuis plus de soixante-quinze ans.
Grégory Haleux