- Orion, « Moyen Âge et Renaissance », L’Action française, 26 novembre 1922, p. 4 :
En de nombreuses épîtres personnelles, Fagus continue d’opposer le Moyen Âge à la Renaissance. Il croit que le faux classicisme du premier Empire (si bien condamné par Lasserre dans son Romantisme français) dérive de la Renaissance et, d’elle aussi, les tragédies pastiches d’aujourd’hui.
Publions quelques bouts de réponse qui, peut-être, seront utiles et serviront par la suite de points de repère dans les courtes analyses de ce carnet.
Nous n’excluons pas le Moyen Âge. Fagus fait carnage des trois quarts de la poésie française depuis Ronsard.
Il déplore que les sujets nationaux (mais le sujet a-t-il tant d’importance ?) aient été dédaignés depuis la Renaissance. Eh bien! traitez-les. Pas comme les romantiques, voilà tout, dont aussi bien Fagus hait comme nous les impostures, l’outrance, la naïveté, au mauvais sens du mot, c’est-à-dire le défaut de psychologie. Il faudrait remarquer que la timidité des classiques français devant les sujets nationaux et religieux n’est pas dédain, elle est respect. Les personnages et les lieux de l’antiquité leur permettent de généraliser, d’universaliser. De penser et de dire avec une liberté d’esprit que nous avons perdue, — par nécessité, non par bonheur.
Ceux qui sentent comme Fagus ne veulent pas voir que la mythologie a été en quelque sorte nationalisée par l’usage heureux. Les dieux grecs sont devenus romains. Par la grâce de la poésie, ils sont plus tard devenus bons Français. Preuve : ils ont aussi pour ennemis les ennemis de la patrie. Qui, eux, ne s’y trompent pas ! Cette « naturalisation » est d’ailleurs antérieure à Ronsard. Le moyen âge mêlait très bien dans une même invocation (Jean Longnon dixit, article de la Revue Critique) Apollon et le Saint Esprit. Fagus tout le premier a recours à l’Olympe. Alors, qu’a-t-il donc à grogner ?
Il dit qu’on ne croit pas réellement à Minerve. Bon. Croit-il au « nain vert Obéron » ? Croit-il aux fées, qui sont si gracieuses ? Croit-il seulement à Pierrot ? Se bornera-il à l’Ogre, ayant les Cyclopes ? Aux géants de la forêt ou de la montagne, ayant les Titans ?… On peut préférer de cœur le moyen âge ou la renaissance, le gothique ou le classique. L’Orionide sous-signé avoue qu’il est plus ému par la colonnade du Louvre, ou par le ciel inscrit dans un arc roman, que par les chefs-d’œuvre de l’ogive, mais il admet qu’on choisisse, au contraire, par prédilection spontanée, la cathédrale du XIIIe siècle. Ce qui est absurde, infécond, impie, c’est l’exclusive.
Dernière objection :
— Moins mal, dira Fagus, je traite moins mal Ronsard que Malherbe et Boileau n’ont fait.
— Ils étaient tout près de lui. Ils se croyaient obligés de le contrecarrer pour se garder de ses défauts, pour avoir le champ libre. Le rationalisme littéraire de 1660 a assez servi et produit : on peut lui pardonner une injustice passionnée, commise quand il abondait dans son propre sens. Nous sommes assez loin des uns et des autres. Réunissons-les par leurs sommets, par les chefs-d’œuvre. Il y a des différences, des contrastes, il n’y a pas disparate. Il n’y a pas deux principes affrontés… Boileau lui-même, par moments si coriace, et au moins le Boileau des Épîtres, cher à Pierre Gilbert, a des vertus qu’il y a profit à reconnaître. Bon ouvrier. Bon psychologue. Et, le plus souvent, « ça soune », comme disent les paysans vendéens au tir, quand une balle bien placée frappe le timbre de la cible.