Publié en 1925 aux éditions Le Divan, « Les Quatorze ».
150 p.
En épigraphe : « À MES AIMABLES VOISINS / (soit pour de vrai, soit en esprit) : / T.R.P. DOM MABILLON ; / ABBÉ PRÉVOST D’EXILES, O.S.B. ; / PIERRE DE MONTREUIL, MAÎTRE DES ŒUVRES / POUR LA CHAPELLE DE LA VIERGE À SAINT-GERMAIN DES PRÈS ; / MARGUERITE DE VALOIS, REINE DE NAVARRE ; / DUC DE LA ROCHEFOUCAULD / (ET DONS SA BONNE AMIE MME DE LA FAYETTE) ; / JEAN RACINE, HISTORIOGRAPHE DU ROI ; / HONORÉ DE BALZAC, IMPRIMEUR ; / LA CHAMPMESLÉ, LA CLAIRON, LA LECOUVREUR, / COMÉDIENNES ET AMOUREUSES ; / PAUL SOUCHON, POÈTE ; / AUGUSTE RENOIR, PEINTRE ; / LE FAUCONNIER, MON PEINTRE EXTRAORDINAIRE / (MON PEINTRE ORDINAIRE RESTANT TRISTAN KLINGSOR, / MAIS IL FAIT RETRAITE EN BANLIEUE, OUTRE LA BARRIÈRE D’ENFER) ; / SAINT-AMAND, PÈLERIN DU CABARET DU Petit-Maure ; / PHILIPPE CHABANEIX, COMMIS LIBRAIRE ; / LES PARTISANS DU Pou qui grimpe ; / ET / HENRI MARTINEAU, EXARQUE DU Divan, À LA FOIS / TOUTE SA COMPAGNIE, HONNÊTES GENS POUR LA PLUPART ; / ETC., ETC., ETC. / PLUS / LA STATUE DE HENRI IV / QUE CHAQUE MATIN SALUE AU Vert-Galant : / FAGUS, / BOURGEOIS DE LA RUE DES MARAIS SAINT-GERMAIN, / QUE NOMMENT LES BARBARES RUE VISCONTI. ».
Table des matières :
Cloches rue Visconti
Fête foraine à la Villette
Tiens, un rat
Faubourg
Saint-Sulpice : quatre heures le soir
Idylle
Drame
Rue Geoffroy-L’Angevin
Belle comme la beauté
Frère Flic
Des biplans dans mon assiette
Avant-goût du purgatoire
La vraie éloquence
Comment l’amour vient aux pavés de bois
Le faux-col du remords
Grande banlieue
Hiver
Automne
Printemps
Été
Extension
M. de Guénégaud
Postillonnerie
Érudition
Loge à pied et à cheval
Etiam ruinæ
Carrefour Buci
Tintez, grelots de la folie
Sauve qui peut
Louvre, Louvre des Valois
Ménagerie fantôme
Ratés
Pas perdus et nez au vent
Sylves
Thalassa ! Thalassa !
De Chénier à Villon
À la manière de
Freud, Freud, pourquoi nous persécutes-tu ?
Tant l’on crie Noël
Vates
Triptyque
Le livre et la critique :
- Les Treize, « Quelques livres nouveaux », L’Intransigeant, 16 février 1925, p. 5 :
On ne connaît pas entièrement Fagus si l’on n’a fréquenté que le poète d’une richesse si abondante, le lyrique d’lxion ou de la Danse membre. Il y a un Fagus parisien (mieux : bellevillois) doué de toute la verdeur de pensée et d’expression qui distingue cette catégorie de citoyens.
Le premier est parfois tourmenté, ses accents sont souvent le témoignage d’une âme profondément remuée. Le second a, pour principales caractéristiques, un joyeux bon sens, une étincelante jovialité ; c’est lui qui écrit, dans les Éphémères, cette fête foraine à la Villette, ces croquis de la rue Geoffroy-l’Angevin, de la rue Mazet, du Cloître-Saint-Honoré, du Marché aux Fleurs ou du Carrefour Buci. On est pris tout d’abord par l’agrément de ces pages, par la sincérité de leur expression. Puis si on les regarde de près on y retrouve bien vite le poète, le causeur visionnaire qui sait, quand il veut, évoquer, sous les transformations modernes de sa ville, les aspects et l’atmosphère de la Prévôté de Paris — du temps que Villon en était banni.
- Raoul Narsy, « Flâneries de poète », Journal des débats politiques et littéraires, 17 février 1925, p. 1 :
Quand il s’interrompt de ratiociner devant le crâne de « Frère Tranquille » ou d’orner de gloses subtiles les drames de Shakespeare, le poète Fagus se délasse au spectacle toujours nouveau des rues de Paris. Il y porte un œil avide, son agilité d’esprit, son don aigu d’observation, une sensibilité tour à tour violente, raffinée ou candide. Sa pensée s’y nourrit, son inspiration s’y renouvelle, sa somptueuse palette trouve encore à s’y enrichir. Et, au retour de sa laborieuse flânerie, grisé d’images, vibrant de tout ce que aspects, couleurs, visages, gestes surpris, paroles entendues ont évoqué ou suscité en lui, on l’imagine maîtrisant sa fantaisie pour procéder au dénombrement de ses captures, à l’ajustement de ses notations éparses. Ainsi, sans doute, sous l’égide de sa Muse fidèle, s’est peu à peu fixée, ordonnée, cette succession de « choses vues » qui compose aujourd’hui le délectable volume où nous retrouvons, avec sa fantasque originalité et sa verve incisive, le poète de la Danse macabre. Car la prose de Fagus n’a pas moins de saveur que ses vers.
Écoutez-le décrire les sournoises manigances du rhumatisme : « Il saisit entre ses pinces les tendons et les nerfs, s’y agrippe, joue à l’escarpolette ; il taraude les articulations de l’épaule, du coude, du poignet, de chacun des doigts ; entre les os et les muscles, il insère des lames de rasoir subitement aiguisées. Le biceps surtout a pour lui mille attraits : il le palpe, malaxe, tenaille, mordille, mord, triture, en compose une masse inerte, mais non insensible ! Après quoi, il redescend… » Entrons à la Morgue : « Sur les bascules glacées, deux corps d’hommes mijotaient à froid. Ce n’était pas sinistre et n’était pas répugnant : deux ouvriers à qui deux trous rouge noir crevassaient le front… les yeux avaient disparu, les dents riaient. C’était triste, voilà tout, et peut-être un peu grotesque : la mort embellit rarement la face humaine. » Arrêtons-nous devant cette baraque de saltimbanques : « Un banquiste crasseux et rauque houspille un petit singe phtisique, cramponné au faîte d’une échelle double… l’homme lui étrangle le col d’une serviette, serrant fort afin de soutirer une grimace ; il lui frotte la face de blanc d’Espagne, la racle avec un caricatural rasoir en bois ; il lui enfonce le coin de la lame dans une narine, puis dans l’autre, puis la lui fait lécher. Un laitier, un marchand de bestiaux, des ouvriers, des ouvrières, des apprentis, quelques soldats, et de la marmaille en masse se tord de rire, se tord, se tord… Il pleut. »
À ces sombres eaux-fortes s’entremêlent les riants tableaux, les croquis alertes ou plaisamment comiques. De chatoyantes aquarelles magnifient la mer ou les paysages de l’Île-de-France. Çà et là, un site fameux, une auguste demeure, ces vestiges du passé que menace la pioche du démolisseur, ébranlent dans l’âme du poète l’attendrissant cortège des souvenirs ; nos vieilles rues, la rue Guénégaud, le carrefour Buci, le cloître Saint-Honoré, les alentours de la rue de Cléry, la sordide prison de Saint-Lazare, lui redisent leur pathétique histoire chargée d’amour, de gloire ou de sang. Instantanés cruels, nobles rêveries, évocations émouvantes, tout cela défile comme les images d’un film incomparable et formé par son incessante variété le livre le plus captivant.
Fagus lui donné pour titre : Les Éphémères. Entend-il par là qu’aucune idée de durée ne saurait s’attacher à la peinture de spectacles changeants ? Ils garderaient à tout le moins l’intérêt d’avoir été. Mais encore leur valeur réside dans le subtil discernement qui a présidé à leur choix, dans le sortilège qui les vivifie et nous les rend présents. Ars longa, vita brevis ; l’éphémère peut se survivre.
- Jean de Gourmont, Mercure de France, 1er avril 1925, pp. 172-173 :
Que dire des Éphémères de Fagus ? Ce sont des divagations spirituelles, des éclairs de poésie dont le charme réside dans la diversité de l’inspiration et dans la qualité de la langue.
Le sujet du livre, c’est l’âme éparpillée du poète, qui se souvient de ses émotions réelles et de ses rêves tout aussi réels, y mêle ses lectures, l’histoire, la mythologie et parfois se met à danser dans ses pensées sur une flûte d’un sou.
Sur la première page du volume, je trouve une dédicace que je transcris :
À qui que ce soit du Mercure
Soit cet ours offert, au hasard,
Mais sauf à Maurice Boissard,
Car il porte dès sa figure
Son âme de damné rossard,
Et de pendard, et de gueusard,
De communard, de Dreyfusard
Et pour tout dire : de Boissard !FAGUS
Souhaitons que Boissard réponde avec la même cordialité à ce septain et sur des rimes en us. Je les publierai.
- Orion, « Fagus chroniqueur », L’Action française, 8 avril 1925, p. 4 :
Fagus n’est pas seulement poète, le poète-né que définissait mardi Léon Daudet parlant de Maurras. Il excelle pareillement en prose. Preuve : le recueil de notes, de souvenirs, d’impressions, comme on voudra, disons le recueil de chroniques, qu’il vient de publier. (Les Éphémères, au Divan, dans la collection des Quatorze).
Mais il n’a pas mis, dans ce registre des événements, les journées et les choses que tout le monde a vues. Ce qu’il a consigné ne fut aperçu et ressenti que du seul Fagus, qui savait donner une importance cosmique au vol d’une mouche, parce qu’il est poète, répétons-nous. C’est le carnet de route d’un poète.
Le domaine qu’il a exploré, aucun ne sera plus beau, puisqu’il se nomme Paris. Dans Paris même, son cœur : les deux rives du fleuve autour de la cité. Si bien que tout le volume a pu être dédié à don Mabillon, à Marguerite de Valois, au duc de La Rochefoucauld, à sa bonne amie Mme de La Fayette, à Racine, à La Champmeslé, etc…, et à la statue d’Henri IV « que chaque matin salue au Vert-Galant, Fagus, bourgeois de la rue du Marais-Saint-Germain, que nomment les barbares rue Visconti. » Naturellement, il ne s’interdit pas pour cela de pousser jusqu’aux faubourgs de la ville ni jusqu’aux guinguettes suburbaines, où il ne serait pas prudent que les fillettes le suivissent dans ses descriptions. Car s’il est toujours pitoyables, il est souvent osé. Oui, vraiment, il ose voir ce qui est.
Quel que soit le lieu de la promenade et du songe, Fagus a un pouvoir singulier. Il ne marche jamais seul. Il est toujours entouré d’ombres. Le boulevard où file le tramouet, la rue où sonne l’autobus, sont encore visités par Villon, par Balzac, par Chénier, lorsque Fagus les hante. Et quel style ! L’un des beaux styles français.
Il y en a deux au moins d’ont l’un est attique (Racine, Voltaire, France), l’autre demeurant plus vert, plus imagé, moins uni, plus pittoresque. Ni meilleur ni pire, différent. Plus gaulois, dirait Fagus. Il faudrait pouvoir citer… « Des alouettes s’évanouissent dans le soleil, faisant pleuvoir des fanfares de cristal. Sur le chemin, Mère l’Oie avance, se dandinant avec autorité, gésier en bataille et col tendu, jappant (si j’ose dire) vers le ciel et l’insolence ailée des alouettes… »
Entres les poètes de Paris, ses Éphémères donnent à Fagus une belle place. Entre les poètes de Paris et ceux de la Mer.