Publié en 1908 chez E. Sansot et Cie, « Petite collection « Scripta Brevia » ».
98 p.
En ouverture, une « Dédicace » : « Décembre, midi ; le Palais-Royal tout gris s’aplatit sous la neige toute blanche. Entre deux arcades, un Poète au pilastre adossé, mastique des pommes de terre bouillies qu’il pêche dans sa poche une à une, cependant qu’à la devanture du libraire, parmi les effigies de femmes nues, il considère, la Victoire de Samothrace ».
Le livre et la critique :
- P. G., « Notes bibliographiques », in La Revue critique des idées et des livres, 25 juillet 1908, pp. 174-175 :
L’écrivain distingué, encore que beaucoup trop précieux, qui signe Fagus, vient de publier un recueil d’aphorismes dont certains sont excellents et d’autres vraiment moins bons.
L’affectation de l’étrangeté ou de la trivialité, la manie du paradoxe, la véhémence de l’imagination qui donne à des pensées honnêtement raisonnables de petits airs anarchistes, des archaïsmes et des incorrections volontaires, dont le besoin n’apparaît pas bien, puisque notre langue possède toutes les ressources d’expression nécessaires à l’auteur (le bon écrivain est celui qui écrit avec pureté en style simple), un ton sibyllin partout soutenu qui irrite d’abord et qui amuse ensuite, tels paraissent être les défauts d’un écrivain qui, en politique, en art, et généralement dans les questions sociales, montre un ferme bon sens et des qualités d’observation.
Voici de très jolies impressions d’art architectural :
Les chapiteaux des piliers d’église, où se joue la lumière changeante du jour, sont des « horloges dans l’espace ».
L’ogive figure le miracle des deux mains jointes.
Et voici de la politique :
« La France est une harmonie de contradictions. La France semble une fiction géographique, un paradoxe ethnique, résolus par un équilibre mouvant. » Il ne peut échapper à M. Fagus que nos rois composèrent l’harmonie et maintinrent la tradition, c’est-à-dire l’équilibre mouvant de la France.
Mais il nous est impossible d’admettre de semblables propositions :
« Une religion est une race… Une morale est une synthèse. Des familles, des cantons, deviennent protestants, comme d’autres tuberculeux, comme d’autres calculateurs. » Taine lui-même ne se fût pas avancé jusque-là. Le vrai déterminisme n’est pas naturaliste, mais historique : il tient compte des circonstances. L’oeuvre de Fustel de Coulanges en témoigne.
- Albert de Bersaucourt, « Critique littéraire », in Entretiens idéalistes, 25 juillet 1908, p. 51 :
Suis-je tellement niais qu’il me soit impossible de comprendre M. Fagus ou bien M. Fagus est-il tellement sot qu’il ne réussisse pas à se faire comprendre de moi, je l’ignore, mais son petit livre m’a fatigué sans profit.
- Georges-Michel, « Les Lettres », in L’Aurore, 10 août 1908, p. 1 :
M. Félicien Fagus, l’ancien critique de la Revue Blanche, de la Plume, est un reflet blond de notre pauvre Jarry. Même existence turbulente, truculente ; même nature paradoxale, scientifique. Il vient de faire paraître un recueil d’Aphorismes dont nous ne ferons pas de critique. Nous en publierons quelques-uns qui seront un régal pour ceux de nos lecteurs aimant l’originalité de l’esprit.
L’homme est un gaz déchu.
L’habitude est un poison lent.
L’intuition est une mémoire qui s’oublie.
L’idée d’un geste, c’est déjà le geste achevé.
Ce que dénomme l’homme raison, est la vanité seule de sa sensibilité.
L’absurde est une logique délirante.
Un cercle parfait réaliserait le mouvement perpétuel.
Le génie a des ailes ; l’honnêteté n’a que des pattes.
Le héros paraît diriger : il précède.
La pudeur a sa volupté.
« Je suis maître de Moi comme de l’Univers », la première proposition contient l’autre.
Tu hantes le monde ? Cache tes mains ; la rue ? Ferme tes poings. Saute toujours.
Le génie s’appelle la santé suprême.
Un marbre beau comme une fleur, voilà l’oeuvre d’art.
La force de la femme s’appelle la lâcheté de l’homme.
Il y en a sept à huit cents comme cela… discutables, mais toujours intéressants. Epictète, j’en suis certain, les lirait aujourd’hui avec étonnement.
- Jean de Gourmont, « Littérature », in Le Mercure de France, septembre 1908, pp. 111-112 :
Je voudrais indiquer la philosophie particulière qui se dégage de ces Aphorismes de M. Fagus. Je pense qu’elle peut se résumer dans une certaine croyance à l’irresponsabilité humaine. L’homme agit instinctivement, et c’est seulement la conscience qu’il a de son acte qui lui donne l’illusion de la liberté. Quelques aphorismes, cueillis au hasard, le démontreront :
– L’idée d’un geste, c’est déjà le geste achevé.
– Le nouveau-né happe le sein, une limaille de fer vers l’aimant s’élance, et César, mûrement, pèse le contre et le pour, tous ayant autant et de même sorte raisonné.
– Nous ne prenons pas une résolution, une résolution nous prend.
Partant de ce point de vue général, M. Fagus nous dit ses idées et ses opinions sur la vie, que, par exemple, l’esprit de contradiction est le branle de l’univers. Il a observé encore que, « derrière toute femme remarquable autrement que par l’amour ou la beauté », on trouvera toujours un homme.
Je pourrais, par l’esprit de contradiction qui est le branle de l’univers, contredire M. Fagus et critiquer quelques-unes de ses opinions ; je préfère conseiller la lecture de son petit livre, plein de pensées ingénieuses, parfois même inattendues. La sincérité de l’auteur est poussée jusqu’à la brutalité. Je ne puis cependant m’empêcher de remarquer qu’il parle des femmes comme s’il avait eu à se plaindre d’elles.
- Peter Hans, « Profils littéraires », in Le Travailleur normand, 8 novembre 1908, p. 3 :
Au XVIIe siècle, on disait Maximes. Le XIXe siècle a moins d’audace dans l’ordre moral ; il dit : Aphorismes. Aphorisme ou Maxime, chaque pensée brève fait naître l’idée de l’aphorisme exactement opposé. L’auteur ne triomphe alors que s’il impose au lecteur le silence absolu. Or, le lecteur ne se résout à se taire que s’il ne comprend pas. C’est, en morale, ce qu’on pourrait appeler règle d’accord… ou de désaccord !
Pour en venir à Fagus, ses Aphorismes le montrent partisan d’une sélection naturelle et saine. Une fraternité l’égale au souverain britannique qui fit ordonner les bains froids à tous les petits enfants. La plupart périrent. Il ne resta que les plus forts ? Est-ce bien certain ? A l’expérience, on reconnaît souvent une résistance supérieure chez tel malade dont l’organisme est tendu, adapté pour la défense ! Si bien qu’il y a là encore empirisme.
N’empêche que guerre, ou autres moyens d’épuration semblent à Fagus la « purge » naturelle et nécessaire pour la santé physique et morale d’une nation !
Son individualisme est peut-être de nouveau en erreur ; d’abord les éléments pires ne sont pas atteints, donc subsistent : réformés. La balle frappe, aveugle, le plus fort comme le moindre. Le plus fort risque d’autant qu’il présente plus de surface : c’est une proportion. La guerre est donc empirique. On pourrait dire que la grève l’est moins. Tout organisme souffrant est de qualité inférieure ; dans un mouvement d’émeute, c’est l’élément instable, douloureux qui fait les frais de la boucherie. Il y a élimination de matières moindres, pourrait-on dire !…
Aussi, la doctrine de Hobbs est-elle boiteuse ; celle de Fagus lui ressemble. Mais Fagus ne l’érige pas en système ; au contraire : « Penseur ou politique, ou poète, garde-toi de biffer les contradictions de ton oeuvre : elle leur doit la vie. »
Ensuite, un individualisme nietzschéen : fais ta statue, sois ta statue : choisis un idéal et tente de l’égaler, ou de le surpasser, et que rien n’arrête ton élan. Ce dernier point est contestable même en esthétique. Toute oeuvre qui, pour se manifester, suppose de la douleur par alentours, comporte, de ce fait même, un vice avoué ou caché, qui l’amoindrit dans sa manifestation de beauté comme dans sa portée humaine ; elle porte un ferment de discorde : le diable y sent le brûlé.
Sous le désordre apparent des Aphorismes de Fagus se montre un plan réel et de la suite dans les idées : Tour à tour, il s’efforce d’étudier l’homme et l’univers, l’individu ; je cueille ces avis :
« Ce n’est pas le premier pas qui coûte ».
« Il n’est pas de petites besognes, il est de petits ouvriers ».
« Entre ceux-là qui plaisent à tout le monde et toi, sème du sel ».
Une pensée m’arrête encore : « Un cercle parfait réaliserait le mouvement perpétuel ». Je proteste : le mouvement perpétuel ne peut-être réalisé que par des combinaisons de forces, des déséquivalences de poids et selon un segment de cercle de 45° à 90°, guère plus ! Mais il faudrait, ici, approfondir.
Fagus passe à l’homme social, aux races, à l’amour, aux sexes :
Cueillons :
« Toute chair vivante fleure le pourri ».
« Ceci seul condamne les vices, mais les condamne absolument : ils sont des servitudes ».
« – Cette action est d’autant plus criminelle qu’elle est inutile… : la morale des gens du commun se démasque naïvement ».
« Tu crains la Justice : ta conscience te fait donc peur ? – La mienne, non : celle de mes juges ».
« Le bourgeois méprisant l’ouvrier me remembre cette fille de parvenu disant : sale comme des pieds ».
Il ne reconnaît aux Francais que deux caractéristiques : l’enthousiasme et l’économie ; et cependant : « Je n’ai vu Tempé ni Salamine ; mais ta vallée, ô Seine, m’atteste que le peuple entre tes bras bercé était prédestiné à surpasser l’univers ». N’est-ce pas que le Français, alors, aurait une base, l’économie, et un cerveau, l’enthousiasme ? Les maisons bien bâties ont des assises solides et des cheminées d’où la fumée monte vers les Dieux.
Suivent bien des vérités : haine de la faiblesse qui est matrice de lâcheté, mépris pour la ruse, amour du catholicisme et du paganisme, mélange de désir de mieux et de stabilité. Si bien que l’on pourrait dire de Fagus ce qu’il dit du Français : « Tout Français est un peu brise-tout, et beaucoup conservateur » ne pourrait-on, pour être historiquement vrai ajouter un adverbe, tour à tour qui n’est que sa qualité suprême : l’adaptation aux besoins ? N’en déplaise à Fagus, les événements nous mènent, notre libre arbitre nous permet juste d’aller de tribord à babord : du « diable » à la vertu : « La France est une harmonie de contradictions ».