Adolphe van Bever & Paul Léautaud, Poètes d’aujourd’hui

  • Adolphe van Bever & Paul Léautaud, extrait de Poètes d’aujourd’hui – Morceaux choisis accompagnés de notices biographiques et d’un essai de biographie, vol. 3. Mercure de France, 1929, p. 186-187  :

FAGUS
1872

« Fagus (de son vrai nom Georges Faillet), fils de parents français mais communards, naquit donc à Bruxelles en Brabant : comme le Manneken Piss. Aussi ses premiers patrons furent-ils saint Michel Archange et sainte Gudule : il avoue nonobstant une dévotion particulière à Notre-Dame de Lourdes et à la Bienheureuse Thérèse de l’Enfant Jésus. Il naquit soixante-dix-neuf ans et un jour après la mort de Louis XVI : le 22 janvier 1872, à une heure du matin : donc, à cheval sur les signes du Verseau et des Poissons, et le soleil entrant dans la maison de Saturne. Génie précoce, à six ans et neuf mois il écrivait ses premiers vers (sur une alouette privée, qui se nommait Juliette), battant de quatre-vingt-dix jours le record d’Arthur Rimbaud, et déchiffrait couramment les charades et rébus de La Récréation ». Ainsi se présente lui-même M. Fagus, vrai et merveilleux poète, écrivain en prose fort savoureux, et personnage extrêmement original et pittoresque. Le père de M. Fagus avait pris une part active au mouvement de la Commune, qui suivit les défaites de 1870 : rien moins que l’assaut de la Banque de France, à la tête de bandes armées, et il fut de ce fait condamné à la déportation. Il avait pris soin de se réfugier auparavant en Belgique, ce qui explique la naissance du poète, et ne rentra en France qu’avec l’amnistie, une dizaine d’années plus tard. Il fut alors conseiller municipal de Paris pour le Xe arrondissement, quartier de l’Hôpital Saint-Louis. M. Fagus n’a fait d’autres études que celles d’un élève de l’école communale et commença de bonne heure à travailler pour gagner sa vie, comme employé dans les bureaux de la Préfecture de la Seine. Il ne s’en cache pas. « Je gratte du papier administratif depuis l’âge de seize ans» , dit-il. Il a bien raison. Écrire n’est pas une affaire de savoir. C’est une question de don. Seuls comptent les écrivains qui l’ont. Les autres ne sont que des gens qui imitent ou qui « travaillent ». M. Fagus, lui, a le don. Il est au surplus fort savant, de la seule science qui compte, celle qu’on acquiert soi-même, par sa seule intelligence et la curiosité de son esprit. Il est expert en matière poétique comme peu de poètes le sont, et il est quelquefois, en prose, un peu précieux pour trop connaître, peut-être toutes les ressources du style. Il l’a d’ailleurs exprimé lui-même, dans un petit volume publié récemment : Clavecin : « Celui qui fait profession de poésie doit s’efforcer dans tous les genres, apportant même soin au madrigal, au sonnet sans défaut, qu’à construire un long poème. C’est la meilleure méthode, sinon la seule, pour se rendre maître du plus sublime des Instruments. » On le voit, en effet, dans ce volume, passer tour à tour de la ballade au sonnet, de la chanson populaire à l’épigramme, de la chanson bachique à ce genre du Haï Kaï mis à la mode récemment, tout cela avec la même virtuosité et le même plaisir pour le lecteur. Bien mieux : il lui arrive fréquemment de mêler à ses vers, sans s’en cacher, des vers très célèbres de très grands poètes. « C’est ma façon, dit-il, de leur rendre hommage. » Une chronique tout entière de son volume Pas perdus est édifiante à ce sujet. Comme beaucoup de poètes, M. Fagus publia à ses frais ses premiers vers : chez Vanier et à la Société libre d’éditions en 1898, et à la Plume en 1903. Mais bientôt les éditeurs l’accueillirent. M. Fagus ne s’est d’ailleurs jamais montré pressé de publier. Si quelqu’un n’a jamais songé à tirer de ses écrits qu’un plaisir spirituel, comme à n’écrire qu’à sa guise, selon l’occasion ou l’inspiration, c’est bien lui. Quiconque veut le connaître en entier le trouvera dans ce numéro du Divan que M. Henri Martineau a très justement composé à sa gloire. Les écrivains des partis les plus opposés s’y sont réunis pour lui rendre hommage. Car M. Fagus, qu’on ne voit nulle part, qui ne demande rien à personne, qui se rit de la publicité et de la notoriété, qui vit à sa guise et écrit de même, est estimé et admiré de tous pour son grand talent, sa parfaite probité littéraire et, il faut bien le dire aussi, pour le curieux personnage qu’il est, cocasse, pittoresque, réunissant en lui les plus vifs contrastes. Il a donné de lui-même un jour ce croquis :
« Décembre, midi; le Palais-Royal tout gris s’aplatit sous la neige toute blanche. Entre deux arcades, un poète, au pilastre adossé, mastique des pommes de terre bouillies qu’il pêche dans sa poche une à une, cependant qu’à la devanture du libraire parmi les effigies de femmes nues, il considère la Victoire de Samothrace … »
Qui pourrait penser, à le voir ainsi, comme à le rencontrer, vers six heures du soir, au carrefour Buci, quelque peu zigzaguant et la langue embarrassée, coiffé d’un vaste chapeau melon datant de plusieurs années et enfoui sous une pèlerine du même âge, qu’une musique si savante et si harmonieuse habite en ce petit homme ? Il n’en montre au reste lui-même aucune vanité, témoin ces vers qui terminent son recueil de chroniques : Pas perdus :

— Pourquoi, Seigneur, les hirondelles
Si bas, puis si haut volent-elles ?
Qu’en savent-elles,
Qu’en sais-je ? rien.

Et moi, pourquoi gai, puis morose,
Pourquoi mes vers, pourquoi ma prose,
Pourquoi sous mes doigts cette rose,
Qu’en sais-je ? rien.

Merveille que la poésie, quand elle prend de tels accents.
M. Fagus a collaboré à la Revue des Beaux-Arts et des Lettres, la Revue blanche, la Plume, l’Occident, Revue de Champagne, Mercure de France, Action Française, Revue critique des Idées et des livres, Marges, le Divan, le Feu, la Muse française, Revue bleue, Revue de Hollande, Poesia, les Guêpes, les Facettes, les Lettres, les Horizons, Revue du Siècle, etc., etc.

Bibliographie : Les œuvres. — Testament de sa Vie première, poèmes. Paris, Vanier, 1898, in-12. — Colloque sentimental entre Émile Zola et Fagus, poèmes. Paris, Société libre d’éditions, 1898, in-12. — Ixion, poème. Paris, La Plume, 1903, in-12. — Jeunes fleurs, poèmes. Reims, Revue de Champagne, 1906, in-12 (hors commerce). — Aphorismes. Paris, Sansot. 1908, in-32. — Discours sur les préjugés ennemis de l’Histoire de France. Paris, Bibliothèque de l’Occident. 1909, in-8. — Politique de l’Histoire de France. Paris, Bibl. de l’Occident. 1910, in 8. — La Danse Macabre, poème. Amiens, Edgar Malfère, 1920, in-18. — Jonchée de fleurs sur le pavé du Roi, poèmes. Paris, Nouvelle Librairie Nationale, 1921, in-18. — La Guirlande a l’épousée, poème. Amiens, Edgar Malfère, 1921, in-18. — Essai sur Shakespeare, Amiens, Ediar Malfère, 1923, in-18. — Les Éphémères, poèmes en prose, Paris, Le Divan, Collection : « Les Quatorze », 1925. in-16. — Le Clavecin (Coll. L’alphabet des lettres), Paris, cité des Livres, 1926. — Pas Perdus, Paris, Le Divan, 1926. — Ballade Saint Côme, offerte à M. Auguste Fournier pour son l’Hôtel Dieu et les autres Hospitaliers, Bernouard, 1927. — Le Sacre des Innocents, poèmes inédits, Bernouard, 1927. — Lettres de Fagus à Paul Léautaud, avec un avant-propos par le destinataire. Paris, La Connaissance, 1928. […] Le Divan, numéro spécial consacré à Fagus et contenant des études critiques collectives et des pièces inédites du poète, mai 1925. Iconographie : F. Front : Portrait à l’huile (Salon de la Société Nationale des Beaux- Arts, 1898. Appartient à M. Fagus). — F. Gottlob : Le Haleur de bateau […]

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