Publié en 1903 aux éditions de La Plume. .
105 p.
En exergue : « Volvitur Ixion et se sequiturque fugitque ».
L’ouvrage est dédié « A / la mémoire vénérable / de / Stéphane Mallarmé / A / la personne admirable / de / Auguste Rodin / ce poème est offert / par Fagus / en toute humilité / XXI juin MCMIII ».
Le poème est précédé d’un avertissement « Au lecteur » : « Du poème que voici, de même que chaque chant représente un petit poème complet, lui-même en son entier figure un chant dans un poème plus vaste, par quoi l’auteur essaiera d’imager sa vision personnelle de l’univers et de l’humanité. On éprouve quelque embarras à détailler ainsi par avance une entreprise dont le succès seul peut après coup légitimer la hardiesse ; de plus, un ouvrage ne doit point connaître le besoin de commentaires explicatifs. Mais cette publication séparée d’un épisode nécessite d’avertir de la signification spéciale qu’à la sienne propre vient ajouter sa situation dans un ensemble en vue de quoi il fut écrit, ne fût-ce que pour rendre raison des obscurités possibles […] »
Table des matières :
I. LA CHANSON DE L’HEURE
Les pulsations d’un cœur et d’un cerveau malades.
Chant I
O que le ciel est beau !
– Beau jusqu’au désespoir !
Chant II
Ah, jusque-là monter comme une pierre tombe…
Chant III
Je saigne, moi, cloué sur l’échafaud qui tourne…
Chant IV – L’AUTRE VOIX PARLE
– Assez, arrêtons-nous, l’astre va disparaître…
Chant V
Ainsi demain encor vont s’envoler tes peines…
Chant VI
Le soleil n’est plus là, tout est décoloré…
II. LA CHANSON DES MOIS ET DES ÂGES
Chant VII – NATIVITÉ
– Il est né, le divin enfant ! l’agonisante…
Chant VIII – JANVIER
Ainsi que le cadavre écorché, lamentable…
Chant IX – FÉVRIER
Si la neige étoilée a fleuri sur la terre…
Chant X – MARS
Un jour, encore un jour, encore un jour à vivre !…
Chant XI – PASCAL
C’est la joie ineffable et presque douloureuse…
Chant XII – ANNONCIATION
Parfois le chœur dansant des mers élyséennes…
Chant XIII – AVRIL
Jeunes filles, cueillez l’aubépine d’avril !…
Chant XIV – MAI
Aimez ! c’est venir mai, le mois sacré des roses !…
Chant XV – TÉNÈBRES
La terre craque et fume, et l’air inerte meurt…
Chant XVI – ASCENSION
Phoibos-Indra-Sigurd, vainqueur des épouvantes…
Chant XVII – ZÉNITHAL
Notre père qui êtes aux cieux et sur terre…
Chant XVIII – SOLSTITIAL
Toutes fleurs, juin mort, sont superfétatoires…
Chant XIX – JUILLET
Précipite aux remous fuyards de la rivière…
Chant XX – CANICULAIRE
Sous la toison des blés dorés et roux, mouvants…
Chant XXI – ÉQUINOXIAL
Les lourds ventres saignants crèvent, vident leur fruit…
Chant XXII – OCTOBRE
Les logis se recroquevillent et frémissent…
Chant XXIII – NOVEMBRE
La terre est inerte et glacée…
Chant XXIV – DÉCEMBRE
III. HORS DU JOUR ET DE L’HEURE
Chant XXV – LE DÉLIRE DE L’AVEUGLE
Pourquoi vois-je partout ces disques de lumière…
Chant XXVI
Le soleil va renaître et je veux croire encore…
Chant XXVII
Hélas, en serait-il plus beau ?…
Chant XXVIII – LE RÉVEIL
Le jour est revenu, c’est le même qu’hier…
Chant XXIX
Tournez, aubes et soirs ! Ixion se réveille…
Chant XXX
J’avais clos mon oreille aux choses de la terre…
Le livre et la critique :
- Alfred Jarry, « Les livres », in La Revue Blanche, 15 mars 1903, p. 478 :
Il y a, à coup sûr, une coïncidence naturelle entre les gestes nobles. C’est préciser ce rapport de temps dans le moment immédiat, qui nécessairement évoque l’éternité, que nous avons cru utile d’écrire, à une demi page de distance sur le vertigineux looping the loop et sur un poème qui a le courage aussi (nous ne pensons pas que « courage » ait d’autre sens que « conscience de sa force ») de s’intituler Ixion. M. Fagus, nous semble-t-il, voit volontiers, et nous ne trouvons guère non plus d’autre définition, – le beau dans la fusion d’une mathématique inexorable avec un geste humain, seule façon qu’ait vraisemblablement l’homme de faire des conserves d’absolu. Nous avons rêvé autrefois d’un théâtre où les personnages seraient matériellement fixés aux dents d’un engrenage visible et où les scènes éclateraient, comme des étincelles électriques, des combinaisons attendues de paroles isochrones. M. Fagus a rythmé ce qu’il annonce en sa préface : « une infinie montée et redescente d’êtres à même un infini tournoiement de mondes… un esprit bête de manège… le vertige géométrique. » On a eu la preuve déjà, par quelques pages d’Ixion publiées par La revue blanche, que le souffle du poète n’échoue pas à mouvoir la roue éternelle. Nous formulerons, non une critique, mais une préférence : il nous semble que les strophes les plus « régulières » s’adaptent avec plus de précision et plus métalliquement au sujet, et que les dents d’une roue lancée par un ouragan mathématique doivent être équidistante entre elles et du centre. Mais peut-être est-ce l’humanité du torturé cambrant ses muscles contre l’instrument de sa torture qui fait crier tout son désespoir au moyeu. Si même le livre ne s’était proposé que de présenter « une guirlande de mois avec cul-de-lampe mythologique » tressée par un citadin de Paris avec l’herbe du talus des fortifications et des rayons arrachés à quelques étoiles, il nous semblerait que ce n’est déjà pas là la besogne de tout le monde.
- Louis Lumet, « Chronique littéraire », in La Petite République, 19 mai 1903, p. 3 :
C’est encore un poème philosophique que l’Ixion de M. Fagus, premier chant d’un cycle « par quoi l’auteur essayera d’imager sa vision personnelle de l’univers et de l’humanité ». Il regarde le décor infiniment changeant de la terre avec des yeux éblouis, il palpite à la lumière du soleil, au sourire alterné des saisons, et il souffre de la souffrance de la multitude d’êtres qui ont passé, qui passent, dans le décor, hagards et inconscients. Le second chant, Lucifer, décrira les groupes humains asservis par les machines et les morales.
M. Fagus a tenté une vaste entreprise : il a assez de sève et de force pour la mener à sa fin. Heureusement.
- Pip, « Carnet de Paris », in La Nouvelle Revue, 15 juin 1903, p. 564 :
C’est aussi vers des temples philosophiques que va M. Fagus avec Ixion. Autant M. Leconte est sévère, dépouillé, linéaire, concis et volontaire, autant M. Fagus est, plus qu’il ne le croit, romantique.
Il y a, à côté de gaucheries voulues, de beaux vers :
C’est la joie ineffable et presque douloureuse
à force d’être pénétrante, c’est la joie
du jeune bon soleil et sa face frileuse
qui se veut révéler pour la première fois…..
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Soleil ! Petit enfant soleil, si frêle encore…
Tu viens, tout ignorant, pour nous tout enseigner
pour nous révéler tout ! Reste, que l’on t’adore…
Au monde vient sonner l’universel réveil
en jasant ton bonjour emperlé, doux soleil…
Ce n’est point parfait, cet Ixion, mais il y a de l’éloquence, du feu, des images. L’auteur n’est d’aucune école, ou du moins ne se réclame d’aucune […]
- J. V., in Revue de Belgique, 15 août 1903, pp. 361-362 :
L’œuvre poétique de longue haleine et tirant sa formelle unité d’un thème héroïque ou philosophique, ayant presque universellement disparu devant les recueils de poésies détachées, un appétit a pris les jeunes écrivains de la restituer en sa forme légitime, ou épique ou lyrique – c’est-à-dire architecturale – qui est le poème. L’ambition d’Ixion est d’ajouter une fleur non indigne d’elles à la guirlande d’œuvres belles que cette inquiétude rénovatrice a déjà suscitées. Son auteur espère – et il l’avoue franchement – qu’on trouvera originalité et fécondité aux images, motifs et rythmes qu’il a multipliés en son poème. Il désire aussi qu’on reconnaisse là le rigoureux épanouissement d’une idée directrice, profondément humaine et dont il développe les aspects avec ce caractère de nécessité harmonieuse qui donne leur beauté aux œuvres de l’architecture et de la musique.
Dans ce poème, l’auteur a voulu, comme il dit, imaginer sa vision personnelle de l’univers et de l’humanité. C’est l’éternel recommencement qu’il chante, en un rythme tantôt saccadé et brisé, comme son cœur que tourmentent des désirs toujours renaissants et jamais assouvis, tantôt plus uni et plus large et qui dit la résignation et le morne apaisement. Le nom d’Ixion évoque l’inexorable roue où tournent nos destins, et le fantôme de nuées que l’homme embrasse sans fin. L’humanité comme le soleil parcourent la même route et chantent la même chanson. Et c’est de ce cycle éternellement pareil que le poème cherche à fixer les multiples étapes.
Ixion est dédié au sculpteur Rodin, le grand créateur de symboles, et à Stéphane Mallarmé, dont la pensée s’enténèbre souvent d’un voile épais. La dédicace, sans doute, eût fait plaisir à Mallarmé : car la lecture de cette œuvre, aux phrases tourmentées, est parfois fatigante et la clarté n’en fait pas toujours le mérite essentiel. Originalité, qu’on ne l’oublie pas, ne veut pas dire bizarrerie, et un poète n’est pas nécessairement un délirant bavard.
Pourtant, exception faite des étrangetés qui par moments le hérissent – et agacent le lecteur –, ce poème se recommande par un vrai lyrisme : certaines pages sont comme frémissantes de vie et palpitent d’émotion. On dirait des hymnes, des cantiques qui montent, ailes ouvertes, et dans la vibrante lumière, vers le soleil, vers la nature, vers le ciel mystérieux. Le vers chante alors — et enchante -— et la beauté surgit, comme dit le poète.
Et malgré la préface (un peu tarabiscotée aussi), il nous plaît, quand nous songeons à ces pages vraiment belles, de voir, en Ixion, autre chose qu’une guirlande des mois avec cul-de-lampe mythologique ou bien la divagation d’un citadin de Paris, lequel sur un talus des fortifications s’étendit un soir et, de regarder le ciel, se prit à rêver tout haut…
- (?), in Polybiblion, janvier 1905, pp. 123-124 :
Encore un amoureux de l’incompréhensible. Sous le pseudonyme de Fagus, un symboliste à l’âme inquiète nous entretient d’Ixion, l’illustre damné qui voulut ravir Junon et que Jupiter attacha sur une roue dans le Tartare.
Je saigne, moi ! cloué sur l’échafaud qui tourne,
Sous la flamme tordu et la nuit et le bruit,
Pâte humaine que l’on pétrit et qu’on enfourne
Et qu’on défourne et qu’on retourne et qu’on recuit.
D’Ixion, à la vérité, Fagus nous parle fort peu ; mais il paraît que ce personnage représente l’univers, c’est-à-dire « une infinie montée et redescente d’êtres à même un infini tournoiement de mondes. » Car l’auteur, se doutant qu’on ne comprendra pas son poème, le fait précéder d’une préface, qu’on ne comprend pas davantage. Il est impossible de donner une idée des propos incohérents tenus par Ixion et par les « voix » qui lui répondent. Quelques problèmes, toutefois, semblent l’obséder particulièrement, celui-ci, par exemple : « Pourquoi le soleil n’est-il pas couleur orange ? » Cette question palpitante revient plusieurs fois. Autre préoccupation :
Il fera jour demain ! je n’ose pas y croire.
Et s’il n’allait demain pas faire jour, mon Dieu !
Si l’univers allait rentrer dans l’ombre noire
Qui monte dévorer l’azur flétri des cieux !
Fagus emploie généralement des vers qui riment ; mais il en accueille hospitalièrement qui ne riment pas le moins du monde. Pourquoi ? C’est ce qu’il serait indiscret de demander à un penseur hanté d’idées si transcendantes.
- Charles Le Goffic, « Nos poètes », in La Revue hebdomadaire, octobre 1910, p. 115 :
Et voici encore d’autres poèmes philosophiques : l’Ixion de M. Fagus, premier épisode d’une grande trilogie moderne où l’auteur, dans un verbe à la fois confus et puissant, a essayé de fixer « sa vision personnelle de l’univers et de l’humanité » […]