1930 : Les Églogues

Publié en 1930 aux éditions François Bernouard.
[100 p.]

 

Table des matières :

Au Lecteur
Dédicace
Tityre, Première Églogue
Alexis, Deuxième Églogue
Palémon, Troisième Églogue
Pollion, Quatrième Églogue
Daphnis, Cinquième Églogue
Silène, Sixième Églogue
Melibée, Septième Églogue
Les Charmes, Huitième Églogue
Méris, Neuvième Églogue
Gallux, Dixième Églogue

 

Le livre et la critique :

  • [anonyme], Le Divan, juillet 1930, p. 324 :

Traduire un poète étranger en vers français est une épreuve redoutable que MM. Laignoux et Fagus n’ont pas craint d’affronter en s’attaquant à Virgile. Le premier a composé une petite anthologie des plus célèbres morceaux du poète mantouan : ses vers français sont élégants et précieux. Fagus, de son côté qui déjà venait de se mesurer avec Téroulde en donnant une nouvelle version de la Chanson de Roland a traduit les dix Églogues de Virgile avec âpreté et une voix personnelle où demeure encore l’accent des poèmes du Clavecin bien tempéré.

  • Maurice Rat, extrait de « Dialogues sur la poésie : Rimes et versions latines », La Muse française, 10 juillet 1930, pp. 425-429 :

Il y a pourtant une traduction virgilienne que je goûte davantage encore, c’est celle des Bucoliques, par Fagus, et qui est toute récente. Vous connaissez, vous aimez Fagus…
— Son nom, dit M. de Noblot, que Virgile a mis, si j’ose dire, à la rime, le prédisposait évidemment à traduire le poème de Tityre et de Mélibée…
— Son nom et son talent, dit le baron Adhémar. Fagus est né poète, et il a toutes les cordes de la lyre. Mystique et suave, sensuel et gaillard, spirituel et fantasque, il excelle dans la poésie […] Il manie tous les mètres, tous les rythmes, passe de l’alexandrin le plus ample et grave au vers le plus léger, use de la rime banvillesque et de la simple assonance. Il a le don divin. Dans l’un de ses meilleurs recueils : Clavecin, il a très justement écrit en guise de préface : « Celui qui fait profession de poésie doit s’efforcer dans tous les genres, apportant même soin au madrigal, au sonnet sans défaut qu’à construire un long poème. C’est la meilleure méthode, sinon la seule, pour se rendre maître du plus sublime instrument. » Il a donc traduit les Bucoliques, ce qui est un excellent exercice, et sa traduction qui est là, et qui m’a beaucoup plu, contient du reste le pire et le meilleur.
— Le pire ? s’étonne M. de Noblot.
— Le pire, dit M. du Caillaux, car Fagus est inégal et, je l’ai dit, fantasque ; et l’exécrable chez lui côtoie le chant sacré. Il l’a d’ailleurs confessé lui-même dans une petite pièce délicieuse :

Pourquoi, Seigneur, les hirondelles
Si bas, puis si haut volent-elles?
Qu’en savent-elles,
Qu’en sais-je ? Rien.

Non point que Fagus ait l’ingénuité de l’hirondelle. Très averti au contraire, il n’ignore aucune ressource de son art. Mais poète né pour produire des « charmes », il est un raisonneur quelquefois saugrenu et toujours obstiné. C’est ainsi qu’adorant Virgile, il fait mine de bouder Ronsard et la Renaissance ; il affecte de croire à la floraison spontanée et purement française du moyen âge ; il suppose un Villon très éloigné des gens de la Pléiade. Villon était moins pédant que Ronsard, mais non pas un moindre humaniste. Dans une pièce liminaire à sa version des Bucoliques, il s’amuse à insulter les Romains et à saluer dans le poète de Mantoue, un Gaulois « qui n’est pas de chez eux ».
C’est une manie touchante et absurde. Mais Fagus en a d’autres. Je passe sur celle qui consiste à baptiser Églogues les Bucoliques — bien que le mot Églogues soit une fausse dénomination, due à quelques éditeurs ignorants, et qui signifie simplement : extraits, morceaux choisis… Il en est qui sont bien plus graves. Sous prétexte de mieux rendre « l’aérienne musique » des Bucoliques, Fagus a usé « quant au rythme, au timbre, voire la syntaxe même » de certaines libertés médiévales, reforgées par les « Kamchatkas » du symbolisme, et qui sont d’un piteux effet. Tantôt, et délibérément, il aboutit ainsi au plus pur charabia :

Oh ! dans combien de temps, la terre de nos pères
Et la pauvre chaumière avec son toit caché
Sous son gazon épais, mon royaume à moi ! terres,
Soignées si tendrement, à vous donc arraché,
Et vos rares épis, un jour les reverrai-je ?

Tantôt, pour les commodités du vers, il archaïse, et, supprimant le pronom sujet, donne aux hexamètres de Virgile je ne sais quel gauche détour et quel balbutiement :

La ville qu’ils appellent Rome, ô Mélibée,
Moi simple me l’étais jusqu’ici figurée
À la nôtre semblable, à celle, moi et toi,
Où de séparer des brebis leur géniture,
Pâtres avons coutume…

Parfois même, Tityre parle nègre ; oyez plutôt :

Qu’eus-je fait : ni sortir de servage, ni dieux
Si propices apprendre à connaître, en quels lieux?
Ne m’était plus permis, quand Mélibée, à Rome,
Je vis ce dieu…

Ou bien, c’est Corydon, implorant Galatée, qui aboutit à la plus fâcheuse cacophonie :

Viens à ton Corydon si son souci tu l’as

« Si son souci » d’autant plus regrettable que trois vers délicieux le précèdent !
J’entends bien que Fagus a voulu ces horreurs ; qu’il a cru, dans cette traduction, « dégourdir l’instrument poétique » et « lui restituer la souveraine aisance dont il jouissait à son âge d’or : le moyen âge ». Mais, reste à savoir si le moyen âge fut l’âge d’or de la poésie. De bons esprits en doutent. Ce n’était point l’avis de Malherbe ni de Boileau. Ce n’était point l’avis de Moréas… Et en admettant même qu’à une époque où la langue n’était pas fixée, cette syntaxe plus libre et cette cadence plus variée eussent des charmes, il est singulièrement téméraire de céder à de telles complaisances quand on écrit en 1930, et surtout d’y céder pour les besoins de la cause, en jargonnant comme d’autres chevillent. J’ai bien vu, dans la note Au Lecteur, que ces libertés, dont Fagus se délecte, auraient été « tolérées au seul génie de La Fontaine ou de Molière », mais, l’avouerai-je ? je n’ai jamais trouvé de pareilles licences chez le Bonhomme non plus que dans le Misanthrope…
Une autre erreur que commet Fagus, c’est de mêler à l’alexandrin des vers de 8, 7, 6, 5 et 4 pieds. « L’ampleur de l’alexandrin, écrit-il, convient mieux à la solennité religieuse d’une Énéide qu’à l’aérienne musique, et si variée, des Églogues. » Eh quoi ! Virgile n’a-t-il pas employé le même mètre pour les Bucoliques et pour L’Énéide ? N’a-t-il pas toujours usé de l’hexamètre ? On peut certes traduire les Bucoliques en des vers non alexandrins, — et je goûterais assez, pour ma part, le grand vers de 13 ou 15 pieds, « plus vague et plus soluble dans l’air », qui, avec une coupe au sixième pied, aurait une ductilité de traduction très heureuse —, mais c’est trahir un maître aussi expert que Virgile, que de varier le mètre ça et là. […]
Car, lorsque l’auteur de Pas perdus ne s’égare pas, quelle suavité heureuse, quelle aisance, au contraire, dans le contexte de jet pur et souple !

Toi, mollement à l’ombre, aux bois tu fais redire
Le nom d’Amaryllis et ses beautés,
………………………………………………………………….
… vers toi les abeilles venues
Du mont Hybla voudront, lorsque tu t’étendras
Sous la haie mitoyenne où dans la fleur de saule
Elles boivent, voudront, tout contre ton épaule,
Par leur susurrement, t’inviter au sommeil !
…………………………………………………………………
Ente donc tes poiriers, Mélibée, ô tranquille
Mélibée, et dispose ta vigne avec art
De soi-même la fleur sous ton berceau naîtra,
Le serpent périra comme la mauvaise herbe
Le baume d’Assyrie en tous lieux surgira!
Et, comme le baron Adhémar continuait à feuilleter et à lire :
O Néréenne Galatée, ô délectable,
Mieux que cygne, que lierre blanc et thym d’Hybla,
Sitôt que les taureaux regagneront l’étable,
Viens à ton Corydon si son souci tu l’as

Trois vers délicieux que couronne un vers détestable, c’est tout Fagus, dit M. Cabirol.
— La proportion est belle, observa M. du Caillaux.

  • André Fontainas, Mercure de France, août 1930, pp. 138-140 :

Fagus, en s’essayant à son tour à rendre en vers français les Églogues de Virgile, ne se dissimule pas la difficulté de la tâche entreprise. Il n’a pas tort d’estimer que rendre dans une suite uniforme d’alexandrins à rimes plates « l’aérienne musique, et si variée, des Églogues » amène forcément, outre la monotonie, « le remplissage et la cheville, l’offense à la loyale servitude de la littéralité ». Il a compté sur le bienfaisant secours de « certaines libertés essentielles jusqu’alors tolérées au seul génie de La Fontaine et de Molière, et qui, dégourdissant notre instrument poétique, lui restituait la souveraine aisance dont il jouissait à son âge d’or : le Moyen Âge ». Cependant il n’a usé de telles libertés qu’avec discrétion et je crois qu’il n’a pas eu tort. Ce qui m’apparaît surtout à le lire, c’est que, en bien des passages, surtout pour traduire isolément tels vers heureux ou pour transposer du latin au français certaines images, il a été bien inspiré ; ailleurs, il a été contraint par les exigences de notre prosodie, par les tours de notre syntaxe, à ne donner qu’une idée approximative soit du sens, soit, plus souvent, de « l’aérienne musique » de Virgile. Il note, en passant, il reprend, où il convient,

Partem aliquam venti divum referatisad aures

le vers adorable de La Fontaine :

Portez-en quelque chose à l’oreille des dieux

et, pour ne pas omettre de traduire venti, ajoute en rejet : ô brises ! — mais il y a vingt endroits où Fagus aurait pu recourir au même procédé s’il n’avait consulté que La Fontaine, — et combien d’autres encore parmi les églogues de Chénier, dans Hugo, dans maint autre parmi les anciens et les modernes ? En vérité, autant je crois possible que, aidé par la bienveillance des dieux, à une heure propice, il est possible à un Français d’enrichir vraiment et justement notre langue de toute la beauté riche et délicate d’un vers virgilien isolé, de deux ou trois vers consécutifs à la rigueur, autant le génie propre non seulement à chacune des langues, au style, à la prosodie, interdit l’espoir qu’on puisse par application rendre avec bonheur la suite continue des merveilleux poèmes latins. Aucun, jusqu’ici, des poètes — je ne parle pas de trop nombreux versificateurs — qui y ont voué leur temps et leur peine n’y est parvenu, non plus Fagus que Raynaud ou que plusieurs autres. Si l’on peut admettre encore que Damoetas chante :

Galatée me lance une pomme, la jeune folle
Et puis vers les saules s’enfuit
Regardant par-dessus l’épaule
Si mon regard l’a suivie…

bien que l’on y puisse relever plutôt une interprétation contestable qu’une très fidèle traduction, que penser de Ménalque qui s’embarrasse en notre idiome du : Notior ut jam canibus non Delia nostris… ce qui, d’ailleurs, n’est peut-être pas le plus beau vers de la troisième églogue, — au point de dire, après

À moi s’offre de lui-même
Amyntas, celui que j’aime

meus ignis) ?… ceci :

Déjà n’est pas mieux Délie
Connue de mes chiens que lui !…

Est-ce en lui prêtant une diction si chaotique que Fagus veut nous imposer son idée ingénieuse : Virgile, « ange de Cisalpine » n’est pas Romain, n’est pas « de chez eux » ; il lui fut doux, comme il dit, « d’ourdre sa délivrance », et de le « réintégrer au fier parler de France », auprès de ses « neveux, Racine, Du Bellay, Ronsard et Francis Jamme [sic], le « cygne d’Orhez » ? Virgile est français d’ailleurs, en vérité, car
Tout ce qui est bien n’émane que de France
au même titre que Boccace, née d’une Parisienne, Pétrarque, « à qui la Provence a souri… l’âpre Ligier Durand que d’aucuns nomment Dante », et encore « saint Thomas d’Aquin et Guillaume Shakespeare ».
Fagus publie, en même temps que cette adaptation des Églogues, le Mystère Royal de Philippe-Auguste, qui, étant un mystère, ne relève pas de la présente rubrique, mais je ne puis m’empêcher de le préférer à l’erreur, à mon opinion, d’un poète à qui l’on doit des œuvres aussi pleines et hautes que la Danse macabre, la Guirlande à l’Épousée, le Sacre des Innocents

  • Pierre d’Hérouville, Études, novembre 1930, p. 504 :

Delille a-t-il, comme le prétend Voltaire, donné de Virgile la meilleure traduction qu’on fera jamais ? D’autres cependant ont tenté encore de mettre en vers français les Géorgiques ou l’Énéide. Pour les Bucoliques, il avait laissé le champ libre, et les traducteurs-poètes s’y pourront exercer sans craindre la comparaison avec un devancier redoutable.
Mais est-ce bien en vers qu’il convient de traduire les poètes anciens ? En feuilletant ces églogues mises une fois de plus en notre langue, on passe par des impressions diverses. Tantôt on sait gré à l’interprète d’un joli alexandrin, bien modelé sur l’hexamètre virgilien, par exemple :

… Et sans fin, sous l’ormeau, gémir les tourterelles !

Mais que de fois la rime — pourtant peu exigeante — amène un mot impropre ou peu utile, cause une inversions violente, oblige à s’écarter du texte latin… La publication de cette plaquette n’en est pas moins un hommage français au Gaulois Virgile, « ange de Cisalpine », ancêtre de « Racine, Du Bellay, Ronsard et Francis Jammes ».

  • Joseph-Émile Bégin, Le Canada français, mai 1931, p. 649 :

L’aimable poète Fagus traduit en vers les Églogues du divin Virgile : hommage d’un poète à un autre poète, symbole d’une admiration que les siècles n’ont pas lassée.
Fagus traduit scrupuleusement. Rien ne sent ici les « belles infidèles » du 18e siècle, la fade paraphrase bourrée de chevilles des pseudo-poètes de l’époque. Il traduit amoureusement, respectueux du moindre mot virgilien, de la cadence latine, de la poésie de Tityre et de Daphnis… J’aimerais citer tel vers beau comme le cristal pur de la rosée matinale, net comme un morceau d’azur lavé par un grand orage : il faudrait des pages pour ce soin. Je ne puis que vous encourager, vous qui n’avez pas oublié Virgile, dans la fureur des piétinages sur des organisations chimériques et révolutionnaires, à venir vous laver la tête dans le bain précieux qu’est une lecture de Virgile traduit par Fagus. Ce ne sera pas du temps perdu, et ce sera peut-être une ruine de moins quelque part.

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