1926 : Rythmes

Publié en 1926 aux éditions des Cahiers Libres, « L’Horloge ».
[48 p.]

Le livre est dédié « À / notre cher / Henri Martineau ».

 

Table des matières :

Lucifer
Nocturne Parisien
La Symphonie en Si b. de Schumann
Premier Concile des Chats
Parapluie et Caoutchouc
Entre deux averses
Aimez, c’est venir mai, le mois sacré des roses…
Alleluia dans les Campagnes
Le bonjour est chose légère…
Second Concile des Chats
Francis Jammes
Tempo di Rubato
L’eau noire que la rame effleure
Chuchoté

 

Le livre et la critique :

  • André Fontainas, Mercure de France, 1er décembre 1926, pp. 423-424 :

Et voici, une fois heureuse encore, ce singulier et décidément bien grand poète, M. Fagus. Tout en poursuivant son grand cycle d’œuvre puissante, dont plusieurs parties ont paru déjà sous l’argument général Stat Crux dum volvitur Orbis, il nous a donné le Jeu parti de Futile, le Clavecin bien tempéré, des hors-d’œuvre presque, mais où sa prodigieuse habileté d’ouvrier se joue avec une grâce et une sûreté déconcertantes. Maintenant, ces Rythmes (Collection de l’Horloge — éditions des Cahiers Libres — sixième heure au tour du cadran), marquent un retour au ton, un peu, de ses débuts : le Colloque sentimental, le Testament de sa Vie première. Seulement ce qu’on y pouvait, en ce temps-là, reprocher de désordonné, de débraillé, et parfois de déclamatoire, s’est assoupli au goût et à l’exercice d’une prodigieuse maîtrise. M. Fagus n’est plus la proie de ses sentiments et de ses passions au moment qu’il les exprime. Il en a fait une matière ductile et chaude qu’il pétrit et qu’il façonne selon ses désirs d’artiste accompli. Ceci ne l’empêche nullement de s’étourdir d’un tumulte lyrique, mais qui enveloppe et emporte d’autant mieux qu’aucun des éléments qui concourent à le créer ne se perd sans produire l’effet voulu ou ne se dépense et ne s’éparpille au hasard. Dans cette suite de poèmes populaires, ardents, familiers et d’une délicatesse d’imagination imprévue, brusque, tendre et ironique tout à la fois, on trouvera que l’auteur emploie, en bon vieux et sincère « parigot » qu’il ne cesse d’être, une langue d’une saveur vraiment de terroir, où se meuvent et émeuvent des tropes étrangement spontanés et, en vérité, locaux, et d’autant plus troublants. Et quel sain, tourbillonnant enthousiasme lorsque l’été le transporte pour quelques semaines en pleins champs, ou bien lorsqu’il songe à ces délicieux conciles de chats, ou qu’il rabâche, comme il dit, quelques vers de Virgile ou bien de Francis Jammes. Quelle amusante fantaisie dans le poème où il évoque, d’après son œuvre même, la jeunesse d’étudiant, à Bonn ou à Heidelberg, de Robert Schumann ; son rappel charmant des siècles écoulés, devant les collerettes blondes de roses-trémières, « fières comme au temps des preux ». Surtout les paysages de ce Paris dont il souffre, de ce Paris qu’il hait, et qu’il ne peut s’empêcher d’aimer, ah oui, d’aimer comme un fou !
Rien ne se forme de rien. Fagus s’honore d’appartenir à une haute lignée où je distingue les visages de Verlaine, de Rimbaud, de Corbière, de Laforgue. Il n’est pas moins personnel et particulier que chacun d’eux. Il est leur frère, leur égal, non pas leur caudataire, et son art est aussi grand, aussi original que le leur.

  • Les Treize, « Les Lettres », L’Intransigeant, 2 décembre 1926, p. 2 :

Il y a des écrivains qui administrent l’expression de leurs pensées avec une véritable avarice. D’une seule idée, ils vont tirer tout un livre, non pour l’avoir creusée en profondeur, mais pour l’avoir étirée, monnayée. Et d’autres dépensent royalement. À tout propos, ils découvrent leurs trésors.
Ainsi Fagus. Où quelque autre s’acquitterait par quelque morceau de chroniquette plus on moins pourléchée, lui nous baille une belle pièce de prose où percent à l’envi, bien qu’à l’unisson, une demi-douzaine de têtes aux yeux bleus, à barbe blonde, signées Fagus : une tête poétique, une tête philosophique, une tête charitable, une tête gamine, une tête pittoresque, une tête gaie, qui s’entend à rire,une tête triple, qui a bien pitié de ses frères, les hommes.
Ces remarques nous viennent en marge d’un nouveau recueil, Pas perdus, qui vient de paraître au Divan, et Fagus s’y promène à travers Paris, monologuant. Paris, dans les textes de Fagus, est une ville étonnante, dont la planète est la banlieue et le firmament la vallée. Nous passons d’un paysage à un songe du sommeil, d’un souvenir de la grande histoire à cette anecdote inconnue, du coin d’une place à un battement de cœur, et de ce dernier à quelque verte et gaillarde plaisanterie, que son sel, quelquefois son poivre et son salpêtre, n’empêchent pas d’être pleine de sens.
Une portée d’esprit singulière, tournée vers le détail des choses, mais pour le situer et retrouver le tout dans la partie. Une langue des plus belles, non pas attique, mais dans l’autre tradition (qui va au moins de Montaigne à Huysmans et n’a pas laissé de tenter un Sainte-Beuve). Une langue allant, revenant, imagée, coulée dans tous les plis du cerveau, nuancée jusqu’à la manie, et puis rapide comme la foudre, contrastée, savoureuse, diverse comme un champ de blé lorsque le vent l’agite au soleil, avec ses fleurs.
Entre tant de pages magnifiques, nous recommandons en particulier l’histoire — par lui-même — de ce qu’il appelle ses plagiats.
Nous sommes de l’avis de Fagus en ce qui concerne le démarquage, qui est toujours vil, Quant aux plagiats, il y a d’une part les siens, puisqu’il le veut, qui sont ou des citations ou des dérivations recréées. Les pièges à loup de Pierre Benoît procèdent du même type, varié par l’ironie. Mais il y en a d’autres, qu’inspira le seul désir de s’approprier le bien d’autrui en le maquillant, pour rester impuni. Dans le même ordre d’idées, il y aurait lieu de distinguer l’imitation, effet d’une influence légitime, avouée, fertilisante, et la singerie qu’un auteur fait d’un autre pour avoir part à ses succès, ou les lui ravir, à l’occasion. Les publics littéraires de l’ancienne France étaient plus prompts que nous à définir et déjouer ces fraudes.

  • René Groos, « Le mouvement poétique », La Muse française, 10 janvier 1927, pp. 52-53 :

Les Rythmes de M. Fagus montrent une prodigieuse richesse. M. Fagus, qui estime que « celui qui fait profession de poésie doit s’efforcer dans tous les genres », s’y efforce en effet. Il mêle tous les mètres, tous les sons, toutes les couleurs, et que l’argot y aille si le français ne suffit pas. Il écrit « coclicot » si coquelicot est trop long. Il danse, il chante, Vole mon cœur, vole… Pimpon d’or, pimpon d’or… Poésie éclatante, éblouissante, enivrée, étourdissante, l’image ici plus en armes que les légions de Pompée, là s’amenuisant, s’affinant.
Tout cela, qui est unique aujourd’hui, pourrait d’ailleurs n’être que cocasse. Mais cette frénésie se compose. Le poète, qui émeut un océan lyrique, sait toujours ne s’y noyer pas. Ah ! l’habile homme, jamais il ne perd la boule, ses pires écarts ne sont qu’une preuve de son beau courage et de sa bonne santé. Âme pathétique, cervelle recte, qui n’est dupe de rien et qui se compose une sagesse raisonnable et soumise :

Ah ! que de peine ils prennent tous,
Que de peine pour vivre et vivre quoi ? une heure !
Oui, mais qu’en savent-ils ? hé, rien ! eh bien, et nous ?
L’heure est active mais sereine,
Voici la vérité et que c’est le bonheur
………………………………
La commune fièvre nous mène,
Poète, insecte, fleur, et là-bas l’ouvrier,
Et c’est là le bonheur et c’est bête à pleurer.

  • Paul Æschimann, Les Marges, mars 1927, pp. 219-220 :

Mais voici le bon Fagus, un des poètes les plus sincères, les plus incontestables de ce temps. Il ne nous donne ici qu’une plaquette, mais c’est toujours lui, fantasque, ardent, vibrant de verve, débordant d’images qu’il jette à la volée sur le papier, sans se préoccuper de l’art, semble-t-il, mais avec l’art le meilleur de tous, celui qui est fait de la palpitation même d’une vie humaine. Fagus est un poète fantaisiste, mais qui échappe au troupeau, car il y a le troupeau fantaisiste, comme le troupeau dadaïste, le troupeau surréaliste et les cent autres troupeaux de Panurge ; mais pour faire partie d’un troupeau, Fagus est trop lui-même, trop libre, trop foncièrement romantique, — pas du troupeau romantique, grand Dieu ! c’est le pire de tous ; — non Fagus (n’en déplaise aux petits néo-classiques qui, par petite raison politique, lui font parfois de petites mamours), Fagus appartient au romantisme éternel qui se nourrit d’ardeur, d’imprévu et du besoin de bondir, de s’ébrouer, de fuir les misères de ce monde dans des évasions somnambuliques sur les toits lunaires, où rôdent des processions de chats enamourés.
Et je me rappelle un jour de l’été dernier. Je sortais du Mercure vers midi, et je vis sur le trottoir notre Fagus, qui venait évidemment voir son ami Maurice Boissard. (Deux bons sujets, entre parenthèses, et qui doivent en conter de belles, quand ils sont ensemble). Mais Fagus parlait tout seul en faisant des gestes, et il ne voyait pas la porte, bien qu’il fût juste devant. Sans aucun doute, il était en pleine inspiration poétique. J’avais envie de le réveiller, mais je craignis de troubler le « colloque sentimental » qu’il poursuivait avec son démon intérieur. Et puis je savais bien qu’il finirait par trouver son chemin. Il le trouvera toujours, malgré le généreux désordre de sa poésie. Comme diraient les braves gens, il y a un bon Dieu pour les poètes comme Fagus.

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