Georges Le Cardonnel, « Hommages »

  • Georges Le Cardonnel, « Hommages » in Le Divan n° 109, mai 1925, pp. 288-289  :

J’écrivais, il y a près de deux ans, dans Le Journal : « Fagus est un grand poète. Qu’attend-on pour le dire ? » Il appartient à ce que j’ai appelé souvent notre tradition dionysiaque. Il n’est pas apollonien le moins du monde. Il ne l’est même pas, à mon gré, assez ; il ne possède pas le moindre esprit critique ; de là vient qu’il lui arrive d’être inégal. Il n’en est pas moins inspiré tout le temps. Sa poésie est un jaillissement constant, une continuelle création. Ce poète qui n’a rien d’un néo-classique est en même temps un grand poète catholique. S’il est barbare, relativement à tel autre plus pur, sa barbarie sent, du moins, notre terroir. Il est barbare, comme le sont, jusqu’à un certain point, nos cathédrales improprement appelées gothiques. C’est une barbarie qui ne doit rien, ni à l’Ancien Testament ni aux influences germaniques. Fagus, grand poète catholique, n’a pas trouvé encore audience auprès des catholiques parce que les écrivains catholiques le négligent. Ce n’est pas un homme du monde. Il n’écrit pas précisément pour les Enfants de Marie. Ajoutez à cela qu’il n’est d’aucun groupe, ne participe pas au lancement de gloires éphémères, ignore la stratégie. Il se contente de chanter, comme il respire, que la vie et la mort sont choses sérieuses, et le pis est qu’il le chante à la fois avec humilité, pittoresque et joie ; car cet homme terriblement sérieux est joyeux, confiant ; il fait de toute sa vie un grand acte d’amour. Fagus est un homme du Moyen-Âge.
Voulez-vous un petit fait qui vous aidera à mieux connaître encore Fagus ? Je ne crois pas manquer de discrétion en le révélant. Quant parut Frère tranquille, je parlai de ce recueil dans le magazine littéraire du Journal et y publiai quelques-uns de ses vers avec l’agrément de Lucien Descaves qui apprécie beaucoup le talent de Fagus. Puisque c’était possible, nous aurions désiré donner à cette occasion son portrait. J’eus beau insister ; je ne pus obtenir de lui aucune photographie. Il me répondit que sa seule effigie était un portrait par l’ami Klingsor, qui figure au Divan. Au cours d’un billet charmant et spirituel, il finit par me déclarer : « Mais, vrai, ma frimousse est-elle vraiment indispensable ? Je ne suis plus jeune et pense bien n’avoir jamais été beau. »
Admirable Fagus !

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