Eugène Marsan, « Un Poète catholique : Fagus »

  • Eugène Marsan, « Un Poète catholique : Fagus » in Le Gaulois du Dimanche, 27 décembre 1919, p. 4  :

Les lecteurs du Gaulois savent ce qu’il vaut et que sa pensée, véritablement poétique, crée spontanément musique et chant. N’est-ce pas un beau nom de poète que le sien, son âme bruissant comme un feuillage dans le vent ?
Il est de petite taille, le visage d’un blond vif, les yeux bleus, d’un type si français avec sa barbe médiévale, que les saints de nos églises font voir parfois, pour son édification sans doute, sa ressemblance. Et quel imperturbable sauvage ! Nul ne le connaît de vue, que ses amis. Si nous commençons à peine à rendre à son art la haute justice qui lui est due, il n’est pourtant plus un jeune homme : ce siècle, ennemi de la poésie, peut-être a-t-il été particulièrement dur à ce poète né. Si dur, que Fagus laisse voir à présent, comme malgré lui, quelque chose de las et de brisé, une douleur faite du ressouvenir de trop de douleurs et qu’il s’attache pourtant à surmonter, en chrétien qui demande à la foi un ineffable secours. Ses amis se plairont à le reprendre de son découragement, ils voudraient qu’il ne demandât pas encore dans sa prière la force nécessaire du renoncement, mais une vertu plus active, correspondant aux merveilleuses beautés de son œuvre.
Fagus a fait paraître, il y a longtemps, aux éditions de la Plume, écrit vers 1900, ce premier recueil, Ixion, épisode ou fragment d’un long drame poétique dont ce n’est pas la paresse du poète qui a arrêté la divulgation. Car il a dans ses papiers des milliers de vers dont quelques-uns seulement, ayant paru çà et là, ont emporté l’admiration des lettrés. Quand nous verrons les autres, nous aurons à nous accuser tous d’ingratitude, à nous reprocher ce long silence imposé par notre sécheresse et notre indifférence au plus doué des hommes.
Fagus tire son origine littéraire des beaux temps du symbolisme. Je n’aurais garde d’en médire. Quand la seule doctrine féconde, le réalisme, dégénère et s’abaisse à d’indignes caricatures de la vie, il n’est pas regrettable que les poètes trouvent pour se retremper aux eaux de la fontaine de nouveaux chemins, même semés d’embûches. Les tragiques grecs, Virgile, Shakespeare, Dante, et tous les Français, même ceux dont il déteste le génie (comme Anatole France, par exemple), l’ont acheminé, sans reniement, vers un art plus simple, toujours inspiré, sans affectation, des hauts lieux de l’esprit. La Danse macabre, qu’il a ainsi écrite, est encore d’un accent désespéré : un poème catholique de cette intensité et de cette riche veine, vous ne pensez pas que ce soit chose commune. Sans vouloir courir le risque d’une comparaison disproportionnée et qu’aucune imitation n’impose, j’avouerai qu’en le lisant, lorsqu’un jour il paraîtra, vous penserez parfois au Florentin. Car c’est une divine ou terrestre comédie, où vous rencontrerez, au bord de l’abîme et au sein de l’orage, des fleurs, la délicatesse d’un sentiment juvénile, le tendre sourire d’une vierge…
Fagus, nul n’est mieux fait que vous pour sentir que dans sa rigueur et sa sincérité l’ordre apporte une incomparable douceur au cœur humain tourmenté ! Nous vous conjurons de ne pas vous méprendre : ce n’est pas un noir automne où vous ayez à entrer, à ce moment de votre vie ; si vous le voulez, c’est un riche été, peut-être mélancolique, fertile pourtant, splendide.

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