- Eugène Marsan, « La sincérité d’un poète » in Revue Critique des Idées et des Livres n°158, 10 février 1920, pp. 331-332 :
C’est une épithète — la sincérité — dont la critique moderne a trop abusé, dans son impuissance à pénétrer les vrais secrets. Il semble bien que la mode indiscrète en ait un peu passé : il suffisait qu’un poète rompît quelque borne, celle de l’art ou de la simple décence, et qu’il eût un camarade complaisant et embarrassé…
Le romantisme, ce n’est pas lui qui est innocent dans cette affaire. Il a donné à tant de poètes nés le goût ou l’occasion du mensonge que notre poésie quotidienne en a été tout altérée. Ce qui fait d’ailleurs l’excuse de nos critiques dans leur nouvel engouement. Au lieu que nos anciens croyaient toujours à la véracité des poètes. Ou bien ils en faisaient semblant, par politesse. Ils se contentaient, lorsque le mensonge était trop perceptible, de froncer le sourcil ou de hausser les épaules. Nous sommes devenus plus rudes, la barbarie de nos mœurs nous oblige à plus d’explications dans l’éloge et le blâme. Exigeons du moins que le nom de la sincérité ne soit pas prononcé par euphémisme, et qu’il ne loue pas en vain si grande vertu. Elle n’a brillé chez personne mieux qu’en notre Fagus.
Les dieux de l’Olympe étaient assez complaisants et permettaient, même à des sceptiques, de les invoquer comme d’éloquents symboles. Les saints du christianisme sont plus jaloux et il ne faut pas que les poètes pensent seulement à les nommer sans croire en eux de toute leur âme. La poésie de Fagus a l’accent d’une prière. Vous vous rappelez le fameux poème de Victor Hugo, Booz endormi ? Il mêle à des beautés merveilleuses plus d’un trait fâcheux, dont nous reparlerons, si vous ne m’en croyez pas. Voici toujours celui « dont j’ai métier ». Le vers sublime : « L’ombre était nuptiale, auguste et solennelle » est suivi de trois autres :
Les anges y volaient sans doute obscurément,
Car on voyait passer dans la nuit par moment
Quelque chose de bleu qui paraissait une aile.
Hugo ment. Il triche. Il ne croit pas du tout qu’on puisse voir les anges. Il veut seulement être lu de toutes les petites filles et que batte leur cœur. J’espère pour vous que ce véritable abuse de confiance vous glace le sang dans les veines.
Mais Fagus qui est bon chrétien (1) : « J’ai mon coin de ciel — Où je suis toujours. — Neige, pleuve ou grêle, — Là sont mes amours. »
J’ai mon coin de ciel
Au-dessus du toit
Où passent des ailes
Que tout seul je vois.
La même idée. Peut-être avec une réminiscence fugitive de Verlaine. Et la voix peut n’être pas si grande ; elle a déjà cette justesse et cette vérité qui font d’un poète le meilleur ami que vous ayez.
1. Dans l’Almanach de l’Amitié de France et de Flandre pour l’An de paix 1920 loué par André Thérive dans sa Vie littéraire du 25 janvier.