1909 : Discours sur les Préjugés ennemis de l’Histoire de France

Publié en 1909 à la Bibliothèque de L’occident.
38 p.

 

Le livre et la critique :

  • ?, « Les livres qui font penser », in La Coopération des idées, 1er septembre 1909, pp. 188-189 :

M. Louis Dimier, professeur de l’Université, révoqué parce que catholique et royaliste, ayant écrit un livre passionné intitulé Les Préjugés ennemis de l’histoire de France, M. Fagus nous entretient, précisément à propos de ce livre, des préjugés de M. Dimier, c’est-à-dire des préjugés ennemis de l’historien. D’accord avec M. Louis Dimier que la Révolution est « la déraison même », l’auteur ne saurait admettre que ce fut seulement « une minute de crise mentale ». S’il y eut vraiment tentative de suicide, le bon sens nous prévient « qu’un suicide exprime la crise suprême d’une longue maladie de l’esprit » ou du corps ». La méthode de filiation gêne parfois le parti pris,– que Fagus nomme bien « la pire des ignorances », – des royalistes ; mais elle s’impose en histoire.
L’auteur examine les prétendus « préjugés » dénoncés avec véhémence par M. Louis Dimier : celtique, germaniste féodal, contre le servage, démocratique, économique, etc.. Là contre, il lui reproche son préjugé universitaire, son préjugé latin. Il lui montre que la Renaissance est la racine même de notre anarchie. Il lui oppose l’ordre du moyen âge, la liberté du gothique et la conception occidentale. Là, il est dans le positif. Malheureusement, il a beaucoup d’esprit, qui l’incline au paradoxe : « J’oserai ce paradoxe, écrit-il : pour comprendre l’histoire, il la faut considérer comme incompréhensible ; je veux dire miraculeuse. » Mais il a des traits lumineux : « N’omettons pas l’office, dès le sixième siècle tout-puissant, des moines, défricheurs de terre et de cervelles. La légende veut que Hugues Capet ait instauré cette figure de sceptre, la main de justice. Voilà qui est symbolique de l’office familial, patronal, arbitral : – justicier – essentiel aux rois de France. Philippe-Auguste (1190) déclare que le prince est fait pour l’État, non l’État pour le prince ; c’est la doctrine de saint Louis, qui dit le roi gardien de la loi et des droits du royaume (et des privilèges, franchises et libertés locales), et la doctrine de Bossuet : « Le roi n’est pas né pour lui-même, mais pour le public, pour être le support du peuple. » Ç’avait été celle du grand évêque Hincmar et de saint Thomas d’Aquin. Le devoir de justice est tellement inhérent à la fonction royale, que Louis XIV même recevait en personne, certains jours, requêtes et placets. Quand le roi était empêché, il déléguait, dès le treizième siècle, un « poursuivant » pour « les plaids de la porte du palais » : ce fut l’origine des maîtres des requêtes. Il en fut ainsi jusqu’au dix-huitième siècle. »
Après la Renaissance, la monarchie devient de plus en plus absolutiste, centralisatrice, bureaucratique, parasitaire. La France est atteinte. La maladie, désormais, suivra son cours. Notre parlementarisme actuel n’en est que le paroxisme. Nos jacobins ne font qu’exagérer les vices des rois de la décadence, et ils les multiplient de leur nombre. « Certes, quand Louis XIV abattit le vieux Louvre « gothique» de Philippe-Auguste, et qu’il ne comprenait plus, une fissure fêla la Bastille, et la tour du Temple tressaillit… Ich dien, je sers, disait avec fierté le moyen âge. – Non serviam, crient les temps modernes. Les guerres civiles et religieuses avaient révélé une nouvelle noblesse, frondeuse, rebelle, insurgée. Et à la fin bridée, et du coup à moitié détruite, énervée surtout, si elle sert, c’est servilement. Quand jadis le gentilhomme chambellan, sa cuirasse délacée, préparait la chambre du roi, il était là aussi noble qu’aux côtés du roi combattant ou jugeant. Mais quand cette chambre il la para de vaniteuse inertie, il passa laquais. Et le bourgeois à l’affût le supplanta. C’est le triomphe de l’homme sensible, cet aïeul de l’humanitaire, ce haineux des choses héroïques, qu’annonce déjà Fénelon. C’est le triomphe enfin du bureaucrate et du parleur, et de l’agioteur : du niveleur, pour tout dire d’un mot. »

  • Jean Schlumberger, in La Nouvelle Revue Française n°9, 1er octobre 1909, pp. 232-233 :

A tous les autres siècles, M. Fagus préfère le XIIIe. C’est un goût défendable. Cette époque lointaine marquerait un un sommet que plus jamais notre art et notre culture n’ont atteint – paradoxe d’un noir pessimisme, mais qui a le mérite de rendre justice à une époque glorieuse dont nous ne sommes pas assez fiers. M. Fagus aime le siècle de saint Louis parce que c’est le plus catholique tout en étant le moins «  latin ». Il serait en effet grand temps qu’on dissociât ces deux termes et qu’on en finît avec le fétichisme dont le dernier est l’objet et qui, par le plus mal avisé des chauvinismes, nous ferait, pour un peu, prendre en pitié nos plus riches complexités héréditaires.
Mais pourquoi M. Fagus ne peut-il admirer le Moyen Âge sans vouloir arracher de notre histoire l’humanisme, la Renaissance classique, Rabelais, Montaigne, Versailles, la moitié des XVIIe et XVIIIe siècles ? Quelles exterminations, grands Dieux ! Déjà M. Lasserre, au nom de la discipline française, voulait extirper de notre littérature cent ans de romantisme. Voilà qu’on nous demande encore d’autres têtes ! A quelles fureurs jacobines, à quelles ruptures avec le passé, à quel saccage de notre histoire ces traditionalistes se laissent emporter !
Il y a beaucoup de choses ingénieuses dans la plaquette de M. Fagus, mais vraiment il ne faudrait plus invoquer en faveur des artistes gothiques ce vieil argument de l’anonymat. Comment affirmer « qu’ils ne songèrent pas à signer leurs merveilles » quand les signatures aujourd’hui déchiffrées se comptent pas centaines et centaines ? Ce point a son importance psychologique. L’orgueil n’est pas une invention des artistes de la Renaissance ou de ceux de notre siècle et l’on a mauvaise grâce à leur opposer ce Moyen Age où l’auteur d’un crucifix conservé à Brunswick osait inscrire ces mots sur son œuvre : « C’est moi, Jean le Français qui l’ai ouvragé. Si je savais donner la vie aux figures aussi bien que je sais les dessiner, je ne serais plus un homme, mais un dieu. »

  • L. B., in Revue des études historiques, septembre-octobre 1909, p. 607 :

L’auteur qui signe Fagus répond point par point au livre de M. Dimier portant ce titre. En un style parfois étrange, il examine les diverses parties de notre histoire de France.

  • Tancrède de Visan, « La Littérature », in Akademos, 15 novembre 1909, pp. 747-750 :

Le petit livre de M. Fagus qui parut d’abord découpé en articles dans l’élégante et docte revue L’Occident, traite une des questions les plus essentielles de l’histoire des idées. L’ouvrage de M. Dimier : Les préjugés ennemis de l’histoire de France en fut l’occasion.
Aujourd’hui où le régionalisme est magnifiquement restauré, où nos traditions nationales sont cultivées avec amour, où l’artiste sent le besoin de prendre position au centre des réalités de sa race et d’asseoir son inspiration sur de plus solides fondements que le sable mouvant de l’idéologie – il n’est pas de plus passionnants problèmes que celui de nos origines littéraires et de la mentalité française.
[…] Mais, bien mieux que nous, M. Fagus a su répondre à M. Dimier. En un style curieusement travaillé et parfois trop pirouettant, M. Fagus a remis bien des choses au point. Il a notamment montré – question capitale et trop peu étudiée – qu’il importe de distinguer deux Renaissances, l’une française à qui nous devons Blois, Chenonceaux, Chambord, le Louvre, Philibert Delorme, Pierre Lescot, les Chambige, Jean Goujon, Germain Pilon, – l’autre italienne, qui manqua nous faire sombrer dans l’hérésie et qui nous apporta le style pompeux et affecté, un pauvre art gréco-romain, une mentalité pseudo-antique, premier ferment de la Révolution.
Au fond, pourquoi cette rage à nous faire naître au temps de Jules César, de dire : « la musique n’existait pas avant Louis XIV » ? M. Dimier croit d’une grosse importance – toujours du point de vue politique – que la peinture ait commencé avec Poussin ou le Primatice, que le théâtre français date du XVIIe siècle, que l’Italie soit la mère des arts. – « Et ta sœur ! demandera la France, fraternellement ? » Outre que fausser ainsi notre histoire littéraire est très dangereux pour la fin poursuivie, on se demande ce que les théories néo-royalistes perdraient en rendant justice au Moyen Age, seule époque vraiment originale, et en laissant à l’intelligence française quelque spontanéité. Nous n’avons plus à la bouche que les mots : raison, discipline, ordre. Prenons garde d’exagérer et d’en être réduits bientôt, après avoir essayé toutes sortes de clichés, à soupirer après la venue d’un nouveau Chateaubriant qui nous rende une sensibilité frémissante et la puissance de nous émouvoir dans le concret.
De tels dangers ne seraient pas à craindre si nous voulions nous pénétrer de cette harmonieuse doctrine de l’Occident qui sauvegarde les droits de la raison et qui fait au lyrisme sa part, en montrant la continuité profonde qui existe entre la « croisée d’augive » et une tragédie de Racine. L’Occident ressemble à une immense personne dont le cœur est en Île de France et dont toutes les patries ardentes « respirent depuis si longtemps un seul souffle ». Dimier parle d’humanistes, de classiques, de romantiques. Sachons à travers ces noms distinguer la même source intérieure où tant d’esprits créateurs ont puisé et qui alimente notre littérature française. C’est à quoi aidera précieusement le livre docte et joyeux de M. Fagus.

  • Pierre de Saint-Jean, in Revue du traditionnisme français et étranger, décembre 1909, p. 197 :

Ces considérations de Fagus sont formulées sur le volume publié par M. Dimier sous le titre Préjugés ennemis de l’Histoire de France, et à propos de celui-ci. M. Dimier est un universitaire et un royaliste de l’école de Maurras : dès lors il ne faut mie s’étonner que son volume soit précisément pétri de préjugés, aparié d’après un point de vue systématique et matématique…ment fau. Cela est très amusant. Il a été facile à Fagus de démontrer les abusions et les inconséquences de M. Dimier, par suite de son point de vue fanatique et dogmatique. Incrêpant à juste titre l’auteur au sujet de son jugement sur le moyen âge, il est allé un peu trop loin dans le sens contraire, a trop généralisé. Avec Fagus, on est toujours sûr de trouver une œuvre originale. Malheureusement, plus d’un coup cela va plus loin que la bonne personnalité et choit dans le bizarre, voire l’extravagance. Il n’y a rien à dire en ce sens jusqu’à la page 28, formant la première partie de la brochure où est exprimé le jugement direct de l’œuvre de M. Dimier. Dans le reste, où Fagus exprime des opinions personnelles, en dehors du texte de M. Dimier, il n’y a que les pages 29 et 30 qui aient un biais trop apocalyptique.

  • Th. Sch., in Revue critique d’histoire et de littérature n°41-42, 13-20 octobre 1910, p. 291 :

M. Fagus veut suivre pas à pas le livre de M. Dimier sur les Préjugés ennemis de l’Histoire de France, « non pour la joie de contredire, mais dans le désir de poursuivre un indispensable accord ». Ce Discours a le grand tort d’être vague et confus et de parler de rebus omnibus et quibusdam aliis, et le tort plus grave encore de manquer de simplicité dans le style plus encore que dans les idées ; car il y en a dans cet opuscule, qui serait fort acceptable, s’il était plus sobre et plus modeste.

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