1906 : Jeunes Fleurs, exercices poétiques

Publié en 1906 aux éditions de La Revue Littéraire de Paris et de Champagne.
172 p.

Hors commerce.

L’ouvrage est dédié « Pour mes sœurs / Marguerite et Hélène ».

Un avertissement « Au lecteur » : « Le mieux serait peut-être, s’agit-il de nos productions les plus minces, que seule la mort nous arrêtât de retoucher. Sans cependant pousser jusqu’à ne se tolérer d’ouvrages que posthumes, du moins ne devrait-on se hâter de mettre au jour ses écrits : aussi bien, ce qui se montre comme vraiment bon ne perd rien à attendre et demeure bon éternellement. / Je me vois un exemple de nos excès d’impatience. Préoccupé d’ouvrer un édifice de poèmes aux vastes envergures, paru le premier, Ixion, je m’aperçus bien que tout ne s’y montrait pas parfait, et que l’auteur eût plus sagement agi, soit en tardant davantage, soit en éditant d’abord les seuls fragments dont il pensait avoir lieu d’être satisfait. Ainsi me conduirai-je à l’avenir, et je l’essaie ici. / Des pièces réunies céans, et généralement destinées aux ensembles futurs, la majorité parut sous une autre forme, voilà un peu plus de dix ans, dans deux recueils, morts-nés comme réellement c’était justice. Certaines datent sans doute, certaines sont bonnes peut-être, et certaines non : lesquelles, je ne le saurais dire, ni personne. Toutes ont été fort remaniées, et il est possible qu’elles le soient encore quand elles reparaîtront à leur place, si tant est qu’elles doivent reparaître. Jusque là, elles veulent se voir tenues pour de véritables Exercices Poétiques : des gammes, si l’on veut, et qui vaudront surtout, si elles valent, par les noms des personnes à qui l’auteur en commun avec sa femme, les offre, en signe d’amitié ou de sympathie. »

Table des matières :

JEUNES ARDEURS

Prière
Pantoum
Obéron
Arachné
Ah ! vivre sans savoir pourquoi !
Mai
Epigrafes
Eden
La Symphonie en si b
Plus loin que le temps et l’espace
Valse lente et brève
Scherzando
Ecclésiaste
Invention du sonnet
Samothrace
Guirlande
Morale
Principes

TENDRESSES

En s’enfuyant l’année efface d’un coup d’aile
Tristis
Grand’ garde
A une mémoire
Puisse le Nouvel an que va ce jour déclore
A la belle qui sans voir passa
En gratitude du joyeux bonsoir
Oui, je suis cet enfant
La plus jolie
Litanies à la notre-dame de toutes nos douleurs
Une amante
Marie
Une amante
Fin d’idylle
Comme s’allait retraire en son palais de deuil

LORRAINE

Vosges
Lorraine
Vesper
Adieux à la Lorraine

LA DÉFAITE DU SPHINX

PAYSAGES PARISIENS

Le Concile des chats
Parapluie et caoutchou
Entre deux averses
Encore une giboulée
Dimanche mariné dans du protestantisme
Lucifer
Alleluia dans les campagnes
Pantoum
Dix heures du soir
Le Bonheur est choses légère
L’Orage
Soir sur la terrasse
Francis Jammes
Nocturne parisien
Quand le clocher sonnait douze
Tempo di rubato
L’Eau noire que la rame effleure
Versailles
Emma
Chuchoté

LA DÉVOTION AUX PRINCESSES GARDIENNES

Les Gloires, les Apothéoses

Le livre et la critique :

  • Pierre Quillard, « Les Poèmes », in Le Mercure de France, 1er mars 1906, pp. 99-100 :

Le vers, la strophe ou le poème achevés, le créateur s’en désintéresse parfois comme de personnes étrangères : Hugo, les Contemplations parues, les Châtiments publiés, tenait l’oeuvre pour définitive lorsqu’elle avait pris la forme du livre. M. Fagus désirerait plutôt être défendu contre sa propre impatience et pour un peu « ne se tolérerait d’ouvrages que posthumes » afin d’avoir la facilité de les retoucher à loisir. Son Ixion, d’ample et spacieuse architecture, ne lui semble plus parfait et il donne pour le chant XIV une variante plus conforme à son goût présent : l’ensemble et le sens général n’ont point changé ; mais certaines suppressions, interversions et corrections améliorent dans le détail ce bel hymne d’amour à la gloire de Mai. Il ne donne cette fois que des fragments qui le satisfont plus détachés d’œuvres futures ou repris de ces deux recueils, Testament de sa vie première et Colloque sentimental. Cependant, quelque ordre préside encore au groupement des pièces éparses ; et c’est par une extrême modestie que le titre d’Exercices poétiques fut attribué à des morceaux qui ne méritaient pas d’être traités de manière si dédaigneuse. Imprévus et singuliers, les mots et les phrases s’assemblent en images inattendues : parmi les strophes lyriques éclate le coup du sifflet irrespectueux d’un gamin parisien qui se moque de soi-même ; des refrains de ronde populaire circulent dans la trame de sonates et de fugues héroïques, Virgile et Francis Jammes, Testhylis et Lucie apparaissent en une églogue bellevilloise, lorsque se sont enfuies – mais elles reviendront au soir – « les punaises lucifuges »

Dont le contact nous donne la nausée de nous.

Mais Versailles est célébré sans ironie dans une grave élégie et auprès de grandes compositions orchestrées des épigrammes menues sont parfaites en leur grâce fragile d’anthologie hellénique, ronsardisante ou japonaise :

D’un grillon vibre le sistre
Et, devant le soleil blanc,
Vois, filandière sinistre,
L’hyémale Arachné tistre
Un linceul frêle et tremblant.

Entre ces chants divers offerts, « en signe d’amitié ou de sympathie », à des donataires illustres ou charmants, M. Fagus ne saurait dire, ni personne, lesquels lui paraissent les meilleurs, c’est-à-dire lui plaisent le plus ; et c’est apparemment, selon les heures, les uns ou les autres et quelquefois ni les uns ni les autres : l’idée de l’immuable lui est pénible ; elle est voisine de l’idée de la mort qui sculpte, d’un doigt cruel, l’effigie désormais toujours semblable des hommes et des poèmes. Et cependant plus que ses Exercices poétiques, puisqu’il les veut appeler ainsi, cet Ixion aux vastes envergures, presque renié par qui le conçut, requiert notre attention, comme certains marbres douloureux de Rodin où la forme humaine s’arrache de la pierre tourmentée.

  • J. Ernest-Charles, « La vie littéraire », in La Revue Bleue, politique et littéraire n° 9, 3 mars 1906, p. 282 :

Heureux ceux qui peuvent admirer toujours et voient partout de la nouveauté ! Plus heureux encore si c’est dans les poèmes qu’ils sont aptes à voir constamment cette nouveauté ! J’ai lu les Jeunes Fleurs de Fagus. Je n’apercevais pas tout d’abord cette nouveauté. Mais la préface indique que la plupart des « exercices poétiques » que ce livre contient datent de dix ans. Il y a dix ans, leur nouveauté était entière. J’ai vu là de la dextérité, du talent et même de la conviction. J’y ai deviné une aimable ironie. Et si ce sonnet – c’est un sonnet ! – ne vous apparaît pas comme une aimable caricature de certains poètes et de certains procédés de poésie, c’est que nous n’avons pas les mêmes principes pour juger les poëmes, les poètes, et en particulier le spirituel Fagus. Mais voici le sonnet – c’est un sonnet – un sonnet accompli jusqu’au dernier vers avec tant d’autres – parce que nous appelons, nous autres, un vers – libriste exaspéré :

MORALE

Ton baiser emprisonne le léger havane,
Lèvre, et hume son âme hors l’artificiel
Fruit âcre et succulent, un poivre sous un miel,
Qui se fusèle, en l’air s’allonge, et se pavane ;

Et tel l’eau du canal, dont tu lèves la vanne
Cette âme aristocrate, en un torrentiel
Tournoiement d’esprits bleus s’émanant vers le ciel
Je l’expulse, et partez, la svelte caravane !

Mon œil les accompagne avec détachement
Un à un se résoudre au bleu de firmament
Un seul crime sachant, un vers plat, mais grand crime,

Pour nous mieux vaut qu’agir rêver et que rêver
Dormir, et que dormir être mort ; transe intime,
Hélas ! un mauvais vers est si vite arrivé !

O railleur Fagus ! à qui le dites-vous ! Combien j’ai goûté, au reste, votre Symphonie en si bémol de Schumann, et d’autres poèmes aussi, mais à la vérité, je ne sens pas ce que la liberté absolue du rythme et de la rime ajoute à la poésie.

  • Adrien Mithouard, in L’Occident n°51, mars 1906, pp. 140-142 :

Quant à Fagus, c’est un volcan, qui rejette au hasard de son orage intérieur, du cuivre, du soufre et du cristal, des bourgeons, des gemmes, des fleurs, des lazzis. Lui aussi il clame l’ivresse de vivre ; il s’y abandonne comme un joyeux ouragan. Des croquis brefs apparaissent rapidement entre ses cris précipités. Tel de ses poèmes, un certain pantoum par exemple, est fait en réalité de deux poèmes strophe à strophe heurtés ensemble jusqu’à ce que l’un des deux thèmes s’exténue pour le triomphe de l’autre. L’abondance des formules, la générosité de l’invention, sont partout déconcertantes. C’est un homme qui chante, qui rit, qui divague et qui pleure follement, au demeurant un homme dans toute l’ardeur du mot.

Bulle qui pense, onde qui voit: esclave libre !

Tout d’un coup il s’interrompt : son cas décidément l’obsède :

Malheureux, tu n’as point promulgué ta technique !

Bast, ce n’est point là de quoi l’embarrasser longtemps.

Car l’art sans rage aux reins, c’est morne apostasie.

Et donc, sans plus d’inutiles déclarations, le voilà reparti dans une griserie nouvelle. Ce ne sont que gestes et enjambements. Il a le diable dans l’esprit et de l’esprit comme tous les diables. La pensée saute par-dessus les rythmes. Il les passe, il faut qu’il passe. C’est un forcené de l’expression, plus épris des mouvements du verbe, que soucieux de l’harmonie intérieure du vers, et puis

Luxurieux (bravo !) comme un camp de matous.

Corbière et Raimbaud l’eussent aimé, comme à son tour il aime les chats pour leur hérissement épileptique :

Lune, lune, sœur sereine,
Chanoinesse des Immobiles,
O leur dame souveraine,
Aimant des filles nubiles,
Reine des quatre semaines,
Qui présides tout là-bas
Au grave, tant grave concile,
Au grand concile des chats,

Marraine Lune qui soûles
La grave et fantasque foule
De tes beaux matous chéris,
Empérière des maboules,
Chattes, chats, poètes, femmes,
Tant que ronflent les maris,
A nos péchés noctambules,
De tout là-haut tu souris,

Lune, lune, reine chérie!

Si la poésie est le don de l’enthousiasme, l’enthousiasme de Fagus est fait de sa verve, d’une verve drue, douloureuse et drôlatique de Parisien impressionniste, à moins que… à moins qu’il n’y ait chez lui, en deçà de cette riche mobilité, un autre Fagus doux et reculé, un Fagus un peu mais très agréablement compassé, voire langoureux, avec de jolies manières d’antan, un petit marquis de Fagus du temps de nos vieilles grand’mères. O découvrir la naïveté de chacun ! C’est celui-là qui apparaît, rougissant et archaïque, quand l’autre s’évade et il se révèle alors dans la grâce ancienne avec laquelle il tourne un rondel ou un madrigal et chante une chanson tendre « en gratitude du joyeux bonsoir et du joli sourire ».

Princesse de là-bas, pour le loyal sourire
Attestant que l’enfui n’est pas oublié tant,
Et le Bonsoir sans plus, si fidèle pourtant,
Recevez le salut tendre autant qu’on peut dire
Du passant que jadis il vous a plu d’élire !

Je m’en voudrais enfin de ne point signaler comme une pièce capitale, entre tous ces étourdissants « exercices poétiques », un fort beau poème de grandiose allure, de pensée haute et tragique, la Défaite du Sphinx, dans lequel tant de richesse de tempérament se discipline et remplit à larges bords les rives d’un fleuve.

  • J. Valmy-Baysse, « Livres d’aujourd’hui », in Le Petit Caporal, 25 avril 1906, p. 1 :

Fagus est un des esprits les plus curieux de notre temps. Critique d’art, critique littéraire, il est en tout poète, profondément. En un temps où chacun recherche l’utilisation des qualités qui lui furent départies par une nature prodigue ou un atavisme raffiné, Fagus, lui, ne se préoccupe que de penser selon lui et d’écrire selon lui. Sa pensée est la maîtresse de toutes ses actions, et le suffrage des autres lui importe peu.
Fais ta statue, écrit-il en son ex-libris où Notre-Dame inscrit sa masse harmonieuse. Et, fier de son orthodoxie, il échafaude à l’exemple des ouvriers qui bâtirent la cathédrale, une oeuvre solide de foi et de vérité humaines.
A Ixion, paru en 1903, il vient donner un livre fraternel : Jeunes Fleurs :

Cher moi-même, amoureux de savoir quoi nous sommes,
                Et notre ambition,
Chante-nous le De Profundis des jeunes hommes,
                Ma génération.
………………………………………….
Enfants, enfants piteux, plus vieux que les vieillards,
                Nous vivons sans vivre,
Abstèmes que beauté, gloire, amoureux hasards,
                Ni nul vin n’enivrent.

Ainsi, sévère et profond se déroule ce livre qu’agite parfois un frisson d’enthousiasme. Mais j’en aime surtout le réalisme qui fait penser tantôt à quelque peintre flamand amoureux des chairs fermes et des décors pittoresques, tantôt à quelque musicien mélancolique, Schumann et Schubert, dont la rêverie s’égrène dans la tristesse des paysages où s’accrochent des souvenirs et des regrets.

  • Henri Liebrecht, in Le Thyrse, 1er juin 1906, pp. 32-33 :

Ceci, au dire même de l’auteur doit être tenu pour un cahier d’exercices poétiques. Je comparerais volontiers ces vers aux études préliminaires que font les peintres pour une œuvre vaste et totale. Ils exposent leurs croquis, leurs cartons, leurs dessins partiels en vue d’une appréciation détaillée qui leur permettra d’harmoniser l’ensemble. La méthode est discutable, encore que la discussion puisse conclure en sa faveur. Ce cahier d’études trahit chez Félicien Fagus un souci constant d’originalité. Il doit avoir beaucoup lu Laforgue et Arthur Raimbaud. De telles préférences sont dangereuses ; elles impliquent aisément une imitation trop servile et une recherche de la bizarrerie. Telle de ces « jeunes fleurs » trahit une culture intensive en des serres surchauffées. La méthode de culture a ôté à la plante toute grâce naturelle et en a fait un produit intéressant peut-être, mais singulier et laissant trop apparaître les défauts de la moderne poésie symboliste. On regrette de voir la belle fleur de poésie française ainsi comprimée, greffée, décolorée par un souci d’esthétique « art nouveau » trop constamment désireux d’étonner et de séduire par le bizarre et par l’étrange. Ces réserves faites, reconnaissons l’adresse du cultivateur à diriger l’éclosion de ses fleurs. La virtuosité ne manque point à ce jardinier qui doit se trouver fort dépaysé dans le parc à la Lenôtre de la poésie parnassienne.

  • Adjutor Rivard, in Bulletin du parler français au Canada n°10, juin-juillet-août 1906, pp. 32-33 :

Ces « exercices poétiques » — c’est ainsi que Fagus lui-même veut appeler ses Jeunes fleurs – sont d’une science un peu compliquée. Ceux qui entendent cette langue et saisissent le sens de ces orchestrations y trouvent à louer « de grandes compositions », « une trame de sonates et de fugues héroïques », des « épigrammes menues parfaites en leur grâce fugitive d’anthologie hellénique, ronsardisante ou japonaise »… Pour nous, qui sommes peut-être des barbares, nous ne pouvons aimer de ce livre ni l’esprit, ni les coups de sifflets irrespectueux, ni les rythmes tourmentés, ni la langue singulière.

  • Gabriel d’Azambuja, in Polybiblion, août 1906, p. 108 :

L’auteur qui signe Fagus a le don de causer au lecteur de douces joies, mais c’est sans le faire exprès. Nous avons parlé, dans un précédent article, du poème Ixion, terriblement incompréhensible. Le nouveau recueil de Fagus, Jeunes Fleurs, ne dément pas les promesses du premier volume. C’est le triomphe de l’incohérence décadente et du sibyllisme inquétant. Nous renonçons à indiquer ce que l’auteur a pu vouloir dire. La plupart des intentions sont indéchiffrables. Quand on comprend, c’est pour saisir des effets de haut comique. Notons seulement au passage des vers comme ceux-ci :

Je ne suis qu’une huître, une huître malade…..
Être l’indispensable infinitésimal,
Rêve, rêve et réel…..
             Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu,
             Les chiens, qu’ils sont heureux
          De se pouvoir mordre l’oreille !…

Il y a des rimes révolutionnaires : langes et nuages, ronde et bande, harcèlent et isole :
Un époux, parlant à son épouse, s’exprime ainsi :

Tes ongles me raclent le cœur
Comme racle un râteau la terre.
O femme chérie, ô ma sœur,
O ma douce amie et mon frère !

Ces quelques citations donnent la note. En faut-il davantage pour pénétrer l’état d’âme exaspéré de l’auteur ?

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