André Saint-Bauzile, « Quand, en compagnie de Fagus le Père « La Boulange » cultivait les belles lettres à la Buci »

  • André Saint-Bauzile, extrait de « Quand, en compagnie de Fagus le Père « La Boulange » cultivait les belles lettres à la Buci », La Gazette de Biarritz-Bayonne et Saint-Jean-de-Luz, 16 août 1941, p. 4 :

Fagus était un poète — hélas aujourd’hui très méconnu — mort dans un accident banal, qui a eu pour théâtre le même quartier qui priva la science de Pierre Curie.
Vêtu, l’hiver, d’une pèlerine d’écolier, chaussé de souliers de soldat, il avait accoutumé de venir boire un verre de vin rouge dans un « bistrot » de la rue de Buci, unique en son genre.
Le patron était un gros homme. Auvergnat. Il présidait une réunion étonnante de petites gens, que l’École de la Vie avait soumis à beaucoup d’humilité.
Sa femme lui attachait les lacets des ses souliers, car son embonpoint lui interdisait de se baisser. Mais il connaissait, mieux que quiconque, la psychologie si spéciale de « clients ».
Non sans fierté, il montrait aux consommateurs les œuvres complètes du poète, ornées de magnifiques dédicaces. C’est un « morceau de vie » que les initiés de la « Buci » ne manquaient pas d’aller déguster, bien que l’odeur du débit ne ressemblât [ pas toujours au parfum de la violette.
Pérennité des choses de Paris, j’ai retrouvé l’autre jour, intact, le rendez-vous de ces Parisiens si spéciaux […]

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Si loin qu’on émigre dans le temps, on trouve aux alentours de ce quartier séculaire, des gens qui ont essayé de vivre dans une fantaisie qu’on ne saurait leur reprocher.
Le Père « La Boulange » était un helléniste, il a connu Verlaine et quelquefois, entre deux vins, les habitués de la Buci soutiennent des questions d’exégèse littéraire qui ne seraient pas intruses dans les cafés « chic » du carrefour Saint-Germain.
Les chiffonniers de Paris s’y donnent rendez-vous. Ce sont des gens à surprise. Déchus, certes, ils n’ont pas toujours abdiqué leurs préoccupations initiales.
Traquées dans leurs repaires depuis le dix-septième siècle, les Cours des Miracles essaient de s’acclimater.
La vie, toujours plus dure, arrivera à les désarmer.
Chacun se « casera ». Il ne restera plus dans les ruelles de Paris ce pittoresque inédit, un peu sordide, qui est comme l’écume des grandes villes, qui désespère l’hygiéniste, mais que le poète accueille toujours avec plaisir.

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