- Pierre Varillon, extrait de « Un grand poète : Raoul Ponchon », L’Action française, 9 décembre 1937, p. 5 :
Nous ne rencontrerons plus Raoul Ponchon descendre le boulevard Saint-Michel ou la rue de Vaugirard d’un pas vif, l’œil clair et s’arrêtant, çà et là, aux devantures des boutiques de libraires.
C’est avec le cher Fagus que nous l’avions rencontré pour la première fois, voici bientôt treize ans, place Médicis, et je me souviens encore de mon étonnement devant le contraste que formaient les deux hommes, à peu près de même taille, mais si différents de visage et de vêtements, Fagus perdu dans les plis de sa grande pèlerine, le chef couvert de ce chapeau melon qu’il enfonçait jusqu’aux oreilles, Ponchon serré, au contraire, dans un pardessus assez court et coiffé de son petit chapeau rond si curieusement cabossé.
Quelques semaines plus tard, ayant demandé à Fagus un recueil de poèmes, il nous apporta, à Jean Longnon et à moi-même, les pièces qu’il avait rassemblées.
— J’en ai ajouté une, dit-il, en souvenir de notre rencontre de l’autre jour. Je pense qu’elle vous amusera.
Elle est en effet amusante. Intitulée Imprécations à un lâche transfuge. Fagus l’avait envoyée à son ami pour le « flétrir », comme il disait en souriant, de s’être laissé séduire par l’Académie Goncourt :
Déplorable Ponchon, qu’as-tu fait de ta gloire ?
Tu vas à des croquants qui ne savent point boire
Et chez qui tous pinards prennent goût de bouchon,
Ponchon, Ponchon, Ponchon, déplorable Ponchon !
Comme nous récriions sur l’injustice de cette imputation calomnieuse et que nous demandions grâce au moins pour le célèbre « blanc de blanc » de tradition aux déjeuners Goncourt, Fagus, nous interrompit de façon péremptoire :
— Ce n’est pas du vin.
Car il n’admettait que le vin rouge ; et, ajoutait Fagus, ayant nommé tous les nouveaux confrères de son ami :
…Tout ça c’est prosateurs : des indignes de vivre.
SI ton Latin Pays tu le fuis pour les suivre,
Tu n’es qu’un renégat, un traître, un noir cochon,
Ponchon, Ponchon, Ponchon, déplorable Ponchon !…Que dis-je ? pour les joindre il faut passer un fleuve !
Plein d’eau ! si que pourtant telle horreur ne t’émeuve,
Songe à ta rive gauche, enfant, qui t’y cherchons,
Ponchon, Ponchon, Ponchon d’entre tous les Ponchons !
Ponchon, Fagus ! Deux grands poètes que l’on ne s’habituera pas à ne plus voir aller et venir dans l’ombre de Saint-Germain-des-Près… […]