- Orion, « Fagus et Jacques Nervat », L’Action française, 3 juillet 1934, p. 3 :
On le sait : le poète exquis Philippe Chabaneix rend tout l’honneur qu’il peut aux autres poètes, et il expose dans son aimable bouquinerie du Balcon, rue des Beaux-Arts, les œuvres des artistes qu’il aime. Orion, bien des fois, s’est rendu à son invitation et il a toujours quitté avec regret cette maison où l’art, la poésie, l’amitié sont dieux, et déesses.
Mais le pauvre Orion pérégrine souvent, et souventes fois il est très loin lorsqu’il y a grand régal chez Philippe Chabaneix. Cette fois, il arriva tout juste pour les dernières heures, avant que ne soient rendus ou serrés des manuscrits de Fagus, des dessins et des peintures de Jacques Nervat.
Un serrement de cœur : on ne recevra plus de ces grandes enveloppes jaunes administratives où si belle, si lisible, si élégante et fière, l’écriture de Fagus faisait d’un nom et d’une adresse un entrelacs de lignes, gracieux et fin comme une belle grille du XVIIIe siècle. On ne trouvera plus dans l’enveloppe administrative le papier administratif rempli des plus sagaces, des plus ingénieuses, des plus érudites considérations poétiques ; des épigrammes admirables, des vers grandioses ou tordus, toujours marqués par une originalité unique.
Là, sur les tablettes, les derniers manuscrits, l’inédit :
Étoile telle
Qu’un vers luisant,
Qui te prosternes
Au firmament,
Feu qui palpites
Contre mon cœur,
Si tu nous quittes,
C’est lui qui meurt.
Pierre Chabaneix dit qu’Henri Martineau doit faire un petit livre sur Fagus épistolier. C’est parfait. Orion rendra hommage avec reconnaissance à ceux qui travailleront à sauver la mémoire d’un poète si rare et si miraculeusement français, dernier descendant, actuellement connu, de la lignée de Villon.
Sur les murs, au-dessus des manuscrits de Fagus : les peintures et les dessins de Jacques Nervat qui fut son ami. Orion n’est pas autorisé à donner le vrai nom de l’artiste, poète et aussi savant. Pourtant ce vrai nom ferait plaisir à bien des cœurs d’Action française… Il est celui d’un des plus dévoués, des plus actifs militants d’une belle province ou, entouré d’hommes d’une haute intelligence et d’un grand savoir, dans une des plus célèbres villes de France pour la beauté, il ne cesse de travailler à la Renaissance.
Paysages fins et doux de cette province qu’Orion ne nommera pas, car ce serait, après ce qu’il vient de dire, rendre transparent le pseudonyme ; paysages du Haut-Languedoc, ce splendide pays inconnu des Français, Bédarieux, Lodève. On en reparlera. Paysages du Vivarais, du Pigeonnier, de la maison de Charles Forot. Paysages du pays de Toulon. Un crayon délicat et fort, une couleur presque tonjours nuancée. Jacques Nervat saisit tout de suite le charme, la grâce, la douceur, la mélancolie. Au fond du petit magasin, une grande eau-forte de Decaris, puissante, vivante, vraie, c’est le portrait de Jacques Nervat. Voyons, qui ose dire qu’il n’existe plus d’oasis pour l’intelligence, l’art, la beauté ; que les liens de l’amitié et de l’admiration ne se nouent plus parmi les hommes ?