Fernand Lot, « Chez les Amis de 1914 : Le souvenir de Fagus et d’Odilon Jean Perier »

  • Fernand Lot, « Chez les Amis de 1914 : Le souvenir de Fagus et d’Odilon Jean Perier », Comœdia, 12 mars 1934, p. 3 :

Deux poètes. Bien différents. Mais dont la mémoire inspire la même profonde ferveur…
René Burnal a parlé d’Odilon Jean Périer, ce Belge « chic et de haute race » qui fut, à 26 ans, une des innombrables victimes de l’épouvantable tuerie. En phrases nettes et subtiles, il a défini l’intelligence « pleine de rigueur et de secrète magie » de celui qui écrivit Passage des Anges. Jamais Odilon Jean Périer n’oublia l’ensemble de l’univers. La poésie était pour lui la valeur qui commande toutes les autres ; le sentiment poétique lui paraissait être le sentiment le plus vertueux dont se puisse prévaloir l’âme humaine.
Mme Dussane a fait ensuite revivre l’homme singulier que fut Fagus, homme du Moyen Âge, et qui représentait, la poésie « à l’état indompté ». Elle l’a campé, en quelques traits charmants, avec sa pèlerine et son légendaire chapeau Cronstadt. Et, entre autres souvenirs, elle a conté — délicieusement ! — comment, entraîné par l’enthousiaste Paul Fort, le poète de Frère Tranquille se décida à composer pour le théâtre un Philippe Auguste qui affronta bientôt ce redoutable tribunal : le comité de lecture de la Comédie-Française. La pièce fut jugée admirable. Malheureusement, des considérations budgétaires empêchèrent l’illustre maison de l’accueillir.
Mme Dussane a émis le vœu que cette belle, cette magnifique pièce soit relue. Les triomphes successifs des Compères du Roi Louis, de Coriolan, ne montrent-ils pas assez quelles splendides ressources offre l’Histoire et tout ce que la scène peut attendre de pièces à grand spectacle, « à grande humanité surtout » ? Applaudissons de tout cœur aux paroles de Mme Dussane et souhaitons avec elle que le Philippe Auguste de Fagus soit de nouveau « examiné » et, cette fois, reçu !
La grandeur, la complexité du poète, elles nous ont encore été montrées par Philippe Chabaneix, qui a situé « le lyrisme libre, fulgurant si plein de sève » de cet héritier de Villon, lequel est aussi un moderne, descendant de Rimbaud, d’Humilis, de Verlaine et de Nerval ; par Eugène Marsan, qui a célébré en Fagus le poète savant, « le symboliste qui atteint à la classicité », et en la personne de qui il est aisé de discerner la trinité de l’enfant, du mage et du sage ; par Henri Strentz, enfin, qui a rapporté de pittoresques, d’émouvants souvenirs, et dit comment Fagus vint à la poésie par la musique. Le chemin est court, qui mène de l’une à l’autre…
Grâce aux voix alternées de Mme Dussane et de Denis d’Inès, quelques poèmes de Fagus et d’Odilon Jean Périer ont pénétré profondément dans le silence d’un auditoire merveilleusement recueilli.

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