Eugène Montfort, « Fagus »

  • Eugène Montfort, « Fagus », Les Marges n° 204, décembre 1933, pp. 130-131 :

Je me le rappelle avec sa pèlerine et son chapeau Cronstadt, il n’y a pas encore tant d’années ; sous son chapeau ce pâle visage, ces yeux bleus, et cette légère barbe frisottante… On le rencontrait dans Paris, mais aussi dans les environs, du côté de Verrières et de Romainville, dans cette banlieue qui avait été celle des romantiques, et qui était restée la sienne.
D’ailleurs Fagus qui n’était point du tout, comme on l’a dit, un homme du moyen âge, mais bien plutôt un romantique, semblait presque le contemporain d’un Victor Hugo et d’un Paul de Kock. Il était lyrique et il était salé. Vieux Parisien comme un de 48, puis du Second Empire, du temps des cabriolets et des crinolines.
Fagus savait beaucoup de choses et ce qu’il savait n’était point livresque : cela participait à la vie, car il était très humain et psychologue. Supérieurement artiste, ni snob, ni esthète, je suis sûr qu’il était venu au catholicisme, à un catholicisme assez fanatique même, par amour des églises, par amour de l’architecture religieuse, laquelle est la seule belle et universelle en France. Sans clocher un village n’existe pas : c’est un informe amas de maisons basses. De l’architecture, de l’extérieur, il était passé à l’intérieur, il avait été pris par la pompe des cérémonies, par la musique et la liturgie.
Il ne professait pas de théorie, ni de doctrine ; il était purement intuitif, mais son intuition toutefois s’appuyait sur des faits, et elle débordait de substance. Il avait fait partie du petit groupe d’écrivains très cultivés qu’avait su réunir Adrien Mithouard dans l’Occident, et tous ses articles d’alors sont à relire et à méditer. Occidental, essentiellement français, il aurait été volontiers raciste comme Hitler, et il ne pouvait supporter les faux Français, les semble-Français, les singes des Français.
La poésie de Fagus, mélangée, pas toujours au point, ni d’un goût très sûr, contient des envolées, des vers magnifiques, des coulées de grand poète, impur, mais sublime. Il était inspiré, se laissait aller à son inspiration et ne remettait pas sur le métier son ouvrage. D’où maintes imperfections, mais à travers lesquelles on distingue une nature passionnée d’où s’échappe une voix céleste.
Parfois mal accordée, sa lyre rendait pourtant des sons très émouvants.
C’était un savant et puissant prosateur. Les lecteurs des Marges ne l’ignorent point, qui trouvaient ici, chaque mois, leur « Quiquengrogne ». Mais, il y a quelques années, il nous donnait une suite « Pas perdus et nez au vent », où figure entre autres une page sur la mer que nul de ceux qui l’ont lue n’a oubliée. L’éclat, la fluidité, le murmure, et la transparence même de l’eau.
Fagus avait prévu sa fin. Il savait qu’il périrait de cette façon affreuse. Il était devin, et il lisait dans l’avenir, comme tous les poètes. Il savait aussi qu’on n’échappe pas à son destin.
Ses funérailles ont été fort belles. Les grandes orgues, les chants funèbres, les cierges, la messe, il eut aimé tout cela. Quant aux vrais artistes, qui en majeure partie composaient l’assistance, ils n’étaient point là pour la parade, mais parce qu’ils pleuraient sincèrement l’un des leurs.

Commentaires fermés.