Léon Daudet, « À propos de deux bohèmes »

  • Léon Daudet, extrait de « À propos de deux bohèmes », L’Action française, 19 novembre 1933, p. 1 :

Le pays de bohème a pris le deuil. Rictus et Fagus sont partis. L’un et l’autre étaient des écrivains et des poètes de très grand talent. L’un et l’autre, sous des formules différentes, semi-argotique quant à Rictus, tirant plus vers le XVIe quant à Fagus, renouvelaient, sur des « pensers nouveaux », les rythmes et cadences d’autrefois, et frottaient d’anciens mots, pour les faire reluire, comme des pots d’étain. Grands lettrés l’un et l’autre, ils regardaient sans envie monter aux honneurs et récompenses officielles des confrères qui ne leur venaient pas à la cheville. L’amour, sans plus, du vert laurier, leur agréait. Alors que Valéry, en attendant cette étonnante récompense, dynamito-pacifiste, qu’est le prix Nobel, est prince de la « Méditerranée », et, ancien secrétaire de Cecil Rhodes (du Cap), baptisé, comme tel, « Sépion l’Africain », alors qu’Herzog, dit « Maurois », convoite un prix Disraeli encore dans les limbes, Rictus a eu le prix Peau-de-Balle, et, Fagus, le prix Balai-de-Crin. Ils n’en sont pas moins chers à la mémoire de ceux qui ont l’amour des Lettres françaises. Dès demain, leurs bouquins, pauvrement édités, se vendront à prix d’or, alors qu’on aura, pour quelques sous papier, un exemplaire sur hollande d’Eupalinos ou du Cimetière marin.

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