René Barjean, « Bloc-notes »

  • René Barjean, « Bloc-notes », Excelsior, 14 novembre 1933, p. 2 :

L’amour des lettres est, chez certains auteurs, si profond qu’il semble primer chez eux tout autre sentiment et qu’il leur permet d’entretenir les relations les plus cordiales avec des confrères dont les idées, les opinions et les croyances devraient, à première vue, les tenir à tout jamais séparés.
C’est ainsi que le bon poète Fagus, qui vient de périr écrasé devant la maison de la rue Visconti où il demeurait, s’était lié avec M. Paul Léautaud, en critique théâtrale Maurice Boissard, dont il ne partageait les idées ni sur la religion, ni sur la politique, ni sur la poésie, ni sur la plupart des questions qui passionnent l’esprit humain. Fagus était un ardent royaliste, fervent catholique, et ne reconnaissait pas de plus grande joie que celle d’écrire de beaux vers.
M. Paul Léautaud, au contraire, ne se cache point d’être un parfait mécréant, de professer une hautaine indifférence en matière politique et de considérer l’art de rimer comme une occupation futile, sinon tout à fait vaine. Mais Fagus et Paul Léautaud professaient tous deux un tel culte pour la belle langue française, ils s’étaient reconnu réciproquement une telle sincérité dans leur œuvre qu’ils étaient devenus une paire d’amis, mais sans rien abandonner pourtant l’un ni l’autre de leur façon de penser. La preuve en est dans certaines lettres adressées par Fagus à M. Paul Léautaud et dans lesquelles il le traite d’ « infâme Boissard », « mon cher mécréant » et autres aménités, mais toujours sur le ton de la gronderie la plus affectueuse. Voilà des amitiés qui ne pêchent pas par la monotonie.

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