R. B., « Le poète Fagus »

  • R. B., « Le poète Fagus », L’Action française, 11 novembre 1933, p. 5 :

« Je mourrai écrasé », disait parfois Fagus avec un sourire goguenard qui cachait mal un pressentiment.
C’est fait. Mercredi, à 6 heures du soir, comme il sortait de sa maison, dans la petite rue Visconti où il avait la joie de voisiner avec l’imprimerie de Balzac et les vestiges de l’hôtel où Racine habita longtemps et expira, le cher poète a été happé par l’aile d’un camion, jeté sur le pavé et si écrasé que, transporté en hâte à l’hôpital de la Charité tout proche, il y rendait le dernier soupir quatre heures après. La poésie française perd en lui un admirateur fervent, savant et intelligent comme il en est bien peu, l’un de ses meilleurs défenseurs par l’inspiration et l’art non moins que par la critique, et l’Action française un ami.
Georges Faillet, qui se fit appeler Fagus sans doute par amour des arbres, été né en 1872, à Bruxelles, où son père, un de ces « fédérés » égarés par le patriotisme, avait dû s’exiler pour échapper à la répression de la Commune. Entré jeune dans les bureaux de l’Hôtel de Ville, il y a fait une longue carrière très modeste, insoucieux qu’il était de tout avancement et content de la simple « matérielle » ; il avait pris sa retraite il y a huit mois.
Sa passion pour la poésie l’avait mené, vers la vingtième année, auprès de Willy et de Paul Fort, chez lesquels un moment il tint un vague emploi de secrétaire. Vers 1890, dans l’effervescence symboliste qui lui donna de grands espoirs, il donna aux « jeunes revues » des poèmes un peu étranges, mais remarquables par des accents de véritable poète. Son âme, très lyrique et son gentil esprit, gracieux, malicieux, colère à l’occasion, avec de superbes éclairs villonesque et dantesque, lui valurent de ses pairs une admiration qui n’a fait que croître, à défaut de l’attention du grand public. Il tranchait sur nombre des poètes d’alors par une certaine fidélité partielle à la tradition, grammairien et érudit en diable, ardemment épris de notre moyen âge pour sa franchise dans le sentiment poétique, déchaîné contre tout ce qui est un peu réglé, particulièrement contre Ronsard, Malherbe, Victor Hugo, Moréas et quelques-uns de leurs disciples.
Il publia chez Vannier, l’éditeur de Verlaine, Testament de sa vie première, Colloque sentimental (1898) ; puis à la Plume Ixion, puis chez Sansot Jeunes Fleurs, Aphorismes, au Divan Pas perdus, et ensuite chez Malfère Clavecin, la Danse macabre, Frère Tranquille, la Guirlande à l’épousée, Frère Tranquille à Elseneur, et entre tant, chez divers libraires, le Jeu-parti de Futile, Jonchée de fleurs sur le pavé du roi, la Dévotion aux princesses gardiennes.
En prose il donna des essais, un peu inégaux, mêlés de lubies et de vues fines ou profondes sur de grands sujets littéraires, tels que Virgile et Shakespeare, un Discours sur les préjugés ennemis de l’histoire de France, en réponse à un livre d’Action française, une Politique de l’histoire de France, d’innombrables articles parus au Mercure de France, au Divan, au Correspondant et aux Marges. Et quel homme de lettres un peu ami de sa pensée n’a reçu de lui, à l’occasion d’un article qui avait plus à Fagus ou l’avait irrité en quelque point, des lettres volumineuses, de sa belle écriture soignée, où il libérait avec force, âpreté, éclat, esprit, drôlerie, son sentiment sur le problème littéraire ou le poète dont il était question.
Le poète et l’essayiste resteront si, dans son œuvre en beaucoup d’endroits hâtive et bizarre, on fait un choix des pages écrites de verve, dans un sûr élan de la raison ou un vif mouvement du cœur.
C’était un catholique d’une foi farouche, d’une piété vive et fraîche comme celle d’un enfant, qui lui a dicté de très beaux poèmes religieux. Notre confrère Pierre Lagarde, dans Comœdia, raconte ceci :
« On le rencontrait souvent rue Saint-André-des-Arts ou près d’un « zinc » de la rue de Bussy où il allait boire un verre de vin rouge, et rimer quelque strophe sur la rame de papier qui ne quittait jamais sa poche. Plus souvent encore, on le voyait au Divan, auprès d’Henri Martineau et de sa femme, bavardant, rêvant, méditant…
« Il arrivait, trouvait Mme Martineau assise à une petite table, à droite de l’entrée de la célèbre librairie des poètes. Derrière elle, sur un rayon, un volume de L’Imitation. Dans sa poche, à lui, un Missel. Et Mme Martineau lisait un verset, et Fagus lisait L’Introït du jour… Et c’était l’heure de la méditation, que précisaient des commentaires lucides ou de brusques silences apaisés… »
Le personnage était très pittoresque, un peu bohème, bien qu’assez ponctuel employé. Indifférent à l’état de son costume et au jugement que l’on pouvait de son allure, on le rencontrait cheminant, et ruminant des vers ou des pensées, aux environs de Saint-Germain-des-Près, dans ce quartier studieux, pieux et spiritualisé par un glorieux passé dont il sentait vivement les charmes, tant invisibles que visibles. Il était de petite taille sous la cape démodée, l’œil bleu, attendri et sarcastique, la barbiche de faune en désordre. Dans sa conversation, se succédaient la drôlerie, la tendresse, l’éloquence et la plus fine élégance.
A-t-il assez vécu pour lire le fascicule de Poésie, en date d’octobre, mais tombé sur notre bureau en même temps que la nouvelle de sa mort, qui lui est en partie consacré. On y trouve une belle photographie de Fagus, une notice par Jacques Bergeal et quelques pages de poèmes. Citons celui-ci, donné en autographe et inédit sans doute, intitulé Là-haut sur la montagne :

LÀ-HAUT SUR LA MONTAGNE

O repos ! nature ! ô complices !
Des bois, des prés, ce ciel si beau,
Un ruisseau, nacre où le ciel glisse,
Et, j’ignore où, un chant d’oiseau ;

Le soir : un âne qui renâcle,
D’un crapaud, la plainte perdue,
Les étoiles en tabernacle,
Et, j’ignore où, un angélus ;

Impérissable soir d’été
Où dissolvent, toutes, souleurs,
Déluge de sérénité
Qui monte submerge les cœurs,

O nature, ô repos, spectacle
Au-dessus de moi suspendu,
O terreur : ce latent miracle,
Quoi, pour ce pauvre homme sans plus ?

Que faut-il, Seigneur, que je fasse,
Qu’ai-je fait pour tant mériter,
Seigneur, tout seul devant Ta Face,
Perdu dans Ton Éternité ?

Les anciens lecteurs de l’Almanach d’Action française n’ont pas oublié les admirables stances sur les canons pris à l’ennemi et entassés dans la cour de Versailles qu’il nous avait offerts pour l’almanach de 1919.

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