J. S, « La mort de Fagus »

  • J. S, « La mort de Fagus », L’Aube, 11 novembre 1933, p. 2 :

Jamais arrière-saison fut-elle plus meurtrière dans le monde intellectuel ? Nous n’avons pas fini de pleurer ces trois savants : Painlevé, Calmette, Roux, que nous apprenons la mort du poète Jehan Rictus. Et voici que le poète Fagus meurt aussi, quelques heures après, écrasé par un camion. « — Je mourrai écrasé », disait-il à ses amis… Il était né à Bruxelles de parents français, le 22 janvier 1872. À Paris, il fut de ce groupe où l’on voyait Paul-Jean Toulet, Charles Derennes, Jean Pellerin, et quelquefois, trop rare, Jean-Marc Bernard, tous morts aussi… Mais son art était profondément original. Le son d’une âme. La Danse Macabre, La Guirlande à l’Épousée, d’autres recueils encore demeureront. Œuvre tumultueuse, de péchés, de repentirs et de prières. Mais d’un sens catholique certain. Sur sa tombe, relisons son admirable « Prière à la très Sainte Vierge », recueillie dans Louange de Notre-Dame :

Reine des cieux, régente terrienne,
Emperière aux infernaux palus,
Je meurs de soif au bord de la fontaine
D’où pleut le sang de mon seigneur Jésus.

Que fus-je ici que ce trouble Fagus,
Que peu valut mais souffert a ses peines ?
Accorde-lui de joindre les élus :
Je meurs de soif au bord de la fontaine.

François Villon et son frère Verlaine
Ont failli certes autant que moi ou plus.
Tu les sauvas, ô Vierge souveraine ;
Veuille sauver ton serviteur Fagus.

Mon fils aimé, ma femme ne sont plus,
Mais je sais bien qu’au ciel ils interviennent ;
Que de Ton Fils leurs voix soient entendues ;
Je meurs de soif au bord de la fontaine.

On voudrait citer tout ce poème et bien d’autres. Il n’est pas donné à tout le monde de retrouver d’une manière aussi spontanée, aussi personnelle, aussi humaine, les mots et les rythmes de Villon. Ailleurs, c’est un rythme de Gérard de Nerval :

— Où sont-ils vos amours ?
— On les a mis en terre.
Les verrez-vous un jour ?
Dieu est là et j’espère…

Que l’espérance et la soif de Fagus soient aujourd’hui comblées !

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