John Charpentier, « « Figures » : Fagus »

  • John Charpentier, « « Figures » : Fagus » in Le Mercure de France n°784, 15 février 1931, pp. 93-95 :

Le propos de Charles Morice sur Sagesse : « c’est une cathédrale dessinée, construite, décorée avec des mots », on l’a repris pour l’appliquer, avec plus de justesse encore, à l’œuvre de M. Fagus, et il est vrai que, tandis que Verlaine n’a été catholique que dans un seul livre, M. Fagus l’est toujours, quoi qu’il écrive.
Ce « fils du Champenois et de la Mancelle » appartient au Moyen Âge. Il ne rouvre la porte sur cette époque, comme le pauvre Lélian, il ne la ferme, non plus, comme Villon. Il est le contemporain des « logeurs du bon Dieu », et c’est à la gloire du Père qu’il compose ses amples poèmes qu’il faut envisager dans leur ensemble pour en dégager toute la signification, et pour en sentir toute la beauté.
Timide débutant de lettres, je l’ai entrevu, naguère, au temps où, à côté de Paul-Napoléon Roinard, il présidait un groupe qui fit moins de bruit que les Bousingots, et qui s’intitulait « Ceux de Belleville », si j’ai bonne mémoire. Mais je n’ai pas oublié, sous le béret, et par-dessus la longue pèlerine à capuchon, son visage aux yeux bleus, à la fois candide et plein de malice, auréolé d’une courte barbe blonde, et qui était celui d’un imaigier du XIIe ou du XIIIe siècle.
M. Fagus conçoit la poésie de la même façon que les auteurs des « Bestiaires » et des « Miroirs du Monde », pour l’instruction et, surtout, pour l’édification des hommes.
Il n’incorpore pas, à proprement parler, des éléments divers à sa vaste synthèse. Son effusion, qui procède d’une pensée très simple ou d’une compréhension suprarationnelle du problème de la destinée, s’exalte de la rencontre avec la vie, et l’interprète selon la loi de l’universel amour.
Sur le thème de la vanité des passions et de la fragilité de notre enveloppe corporelle, il a brodé les variations les plus pathétiques avec une audace dont on ne trouve l’équivalent que dans les scènes du Jugement dernier de nos vieux tailleurs de pierres.

D’avance et sans regret j’adresse à toutes choses
L’adieu du naufragé qui sombre sans effort.
Coule, radeau d’un jour, tombez, senteur des roses,
Mourez, mon bloc charnel qui déjà sent la mort…

Ce lyrique très pur ne recule, en effet, devant aucune laideur, et sait même trouver des accents brûlants pour traduire les joies sensuelles. Aussi bien, loin qu’il les répudie, ces joies, elles lui sont, dans le mariage, un objet de magnification. Il voit en l’épouse l’être par qui « l’énigme se révèle », et compare son cœur à une hostie. Avec quelle suavité il la célèbre, avec quelle ferveur il la prie, au milieu des élans de son inspiration, tour à tour violente et ironique !
Inférieur à M. Paul Claudel, en puissance et en logique, il l’emporte, en revanche, sur lui par la spontanéité ou le naturel. Il se garde comme de la peste de la préciosité, et ce n’est jamais que par négligence qu’il pèche. Les puristes pourraient relever des incorrections dans les paroles de ses chants, si la musique en est toujours expressive.
Il y a du théologien en M. Claudel. Il y aurait plutôt du frère prêcheur en M. Fagus, qui, du reste, a placé son œuvre sous l’argument de la célèbre devise dominicaine : Stat Crux dum volvitur orbis.
Profondément humain, M. Fagus ne s’empare pas de l’intelligence, mais il enveloppe l’âme d’un grand souffle d’émotion.
Notez qu’aux rares heures où sa transe mystique fait trêve, c’est-à-dire où il oublie qu’il est poète, et poète chrétien, M. Fagus sait témoigner d’une rare finesse. Non seulement il goguenarde, alors, à la manière des auteurs de fabliaux, mais il énonce les propositions les plus sages. Car il a des idées, si ces idées sont surtout des principes, et il aime à batailler pour elles, ou pour eux. Ne l’a-t-on pas vu s’en prendre, un jour, à feu Paul Souday qui devait assez bien figurer le diable à ses yeux ?
J’aime la sincérité de sa foi, si savoureusement archaïque, et qu’il ne fait rien pour accommoder au goût actuel. Son ingénuité se trahit jusque dans les infractions qu’il a commises en avouant son admiration pour Zola, puis pour Shakespeare. Les belles pécheresses l’ignorent ; et je doute qu’il soit en odeur de sainteté dans les milieux où l’on consacre la réputation des écrivains catholiques. Mais je ne serais pas surpris si son œuvre abordait heureusement « aux époques lointaines ».

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