- Orion, « Poète et prosateur », L’Action française, 21 août 1927, p. 6 :
Quelques poèmes nouveaux de Fagus on vu le jour, pour notre très grand plaisir.
La Ballade Saint-Côme (chez François Bernouard), « offerte à M. Auguste Fournier pour tout l’hôtel Dieu et les autres hospitaliers. »
Prince des Cieux et vous, Vierge Marie
Tous maux ici soient pour nous repentir…
C’est le meilleur Fagus, pittoresque, pathétique, rythmé. Chez le même éditeur, sous un autre titre, le Sacre des Innocents, c’est encore du meilleur Fagus, bien qu’un autre Fagus, celui qui rivalise avec les anciennes chansons de notre peuple. Même il les entremêle, il les intercale dans ses poèmes et l’on ne voit pas la différence. Le joint est invisible.
Enfin, dans les Rythmes que la Collection de l’Horloge a rassemblés, il se promène en maître entre les deux pôles. Entre l’ordre du familier, du relâché (en apparence) :
— Ah ! c’que tu es bien fait pour ce sale Paris.
Dont je suis, vingt dieux, dont je jouis,
Et que j’aime, oui, que j’aime
Ah ! que j’aime comme un fou.
Et l’ordre soutenu, bien que toujours naturel, coulant de source :
Un vent se lève et l’herbe se balance,
Le soleil s’éteint, voici l’heure :
Eau noire que la rame effleure,
Dissous mon cœur et sa souffrance.
Mais Fagus poète a sa renommée, il a sa gloire bien lancée sur les flots. Si nous insistions aujourd’hui sur sa prose ? En particulier, sur ces notes qu’il jette au jour le jour comme une pluie de flèches. Naguère à la Revue critique. Jadis, à la Plume. A présent, aux Marges. Et les éditions du Divan en ont déjà composé deux précieux petits volumes : Éphémères et les Pas perdus. Il y a là un Montaigne chrétien et symboliste qui, pour tenir lieu du gascon de l’autre, a l’argot de Paris.
Dans les Marges du 15 août, l’étonnante apologie de Jules Verne, cueillons au moins deux perles. D’abord, celle-là :
« Un sympathique mouchard de mes amis me disait — comme nous vidions chopine au bar du Pont d’Arcole, situé près de la boîte, et bien entendu lui payait : Savez-vous, à la Préfectance, comment nous qualifions le coin où nous passons à tabac ? La chambre des aveux spontanés. Hein ? Nous en éclatâmes de rire tous deux. — En somme, c’est la fameuse chambre de question de jadis, à part que vous ne convoquez point de médecin ? — Quoi donc ? c’est le progrès. Et nous rîmes derechef. Bah ! ajouta-t-il, nos collègues de New-York sont moins spirituels et davantage hypocrites. Ils qualifient leur passage à tabac : le troisième interrogatoire. »
Est-il possible de mieux mettre le nez d’un siècle menteur dans son orde vérité ? Un tourne-main, c’est fait. L’autre perle est un songe cocasse et poétique. Fagus a toujours pris garde à ses rêves. Il les raconte avec une grande verve. Celui-ci, que nous n’avons pas la place, par malheur, de citer jusqu’au bout, est daté du 11 juillet, le jour — écrit Fagus — de Saint-Norbert Pinochet. Quand on aime bien les gens on en rêve. Fagus, dans ses songes, part du premier Camelot du Roi qui ait nargué la République au moyen du téléphone, il aboutit à Léon Daudet. Et ce, disons-nous en pastichant notre homme, nous remet en mémoire la bonne servante pourtraicte par Xavier de Courville dans son Île des misanthropes, qui nommait l’astucieux appareil à converser de loin : le trompophone. Les mots jouent tout seuls. Mais écoutez un peu Ariel :
« C’était une lumineuse nuit d’été ineffablement bleue. Une Tour Eiffel rose, translucide comme un corail, filait vers les étoiles ainsi qu’un projectile, on ne pouvait deviner jusqu’où. Je guidais mon minuscule auto, avec deux passagers en tape-cul. L’un Lucien Dubech, l’autre, un autre homme de lettres, je ne pouvais deviner qui, et se querellant et gesticulant, tant que je tremblais pour l’équilibre. Car nous nous engagions (vu la force nous menant) sur l’une des arêtes de l’obélisque, aiguille de corail ou sucre d’orge… »
Au bout de cette pointe, Fagus rencontre… la ville de Marseille étalée. Ah ! vous le voyez bien, Fagus ! Lui aussi, l’orionide soussigné, a le plaisir de rêver souvent d’un port marin dont les belles dalles contiennent une eau pleine de soleil. Vous le voyez bien, homme blond. Vous êtes pris sur le fait. Nierez-vous encore ce cousinage des Celtes et des Romains, du Moyen Âge et de la Renaissance, qu’il vous arrive de contester. Vous qui avez pourtant tiré votre nom littéraire du nom latin d’un arbre très gaulois !
Nous n’avons pas le droit de finir sans rappeler que Fagus, catholique ardent, n’est pas toutefois une lecture recommandée aux enfants en bas âge. Quelle étrange histoire ! Une littérature de qualité, vrai miroir du monde, n’est pas toujours sans péril. Elle est dangereuse ni plus ni moins que la vie. C’est-à-dire que la critique doit doser avec tact les avertissements, les mises en garde nécessaires. Or, nous étions peut-être les seuls à en user systématiquement de la sorte, depuis dix ans qu’existe ce carnet, et nous avons été les seuls qui fussent repris et tancés. Nous en avons éprouvé autant de surprise que de peine. Puis, nous avons compris qu’une fois de plus Tartuffe et Basile coalisés avaient rempli leur office, qui est de tromper les âmes droites.