Orion, « À Fagus »

  • Orion, « À Fagus », L’Action française, 26 décembre 1925, p. 4 :

Dans le dernier Divan, des vers délicieux de ce tendre et beau poète qui a nom Daniel Thaly. C’est l’un de ces badinages à la fois aigus et mélancoliques dont P.-J. Toulet a donné le ton. Chez celui-ci, la manie qui domine est la nostalgie, le charme, la pitié.
Mais Fagus nous surprend par cette étrange digression intitulée Traditions et poésie. On sait combien nous admirons Fagus poète. Critique, nous le préférons lorsqu’il est plus carré, plus net. Ici, il nous déroute en procédant de manière trop insidieuse. Par exemple, lorsqu’il commence par dire, parlant de Moréas, que « ses façons de conquistador nous modelèrent pour la domination de tous les exotiques » et que cette incroyable assertion finalement retirée sans l’être, aboutit à une sorte de parallèle du noble poète avec l’ignoble Mécislas Golberg. Non, Fagus, ces choses-là ne sont pas vraies. Il n’y a pas de passion qui tienne ! Golberg rêvait le travestissement et la démolition de la France. Moréas respectait profondément, il aimait tout ce qui avait un son français. Ce qu’il eut de tapageur et de fanfaron dans son jeune temps, eh bien ! c’était le fait d’une belle jeunesse. S’il fut quelquefois enivré du sentiment de sa supériorité, quel poète inspiré, ô Fagus, ne le comprendra, ne l’excusera, ne l’aimera, — pour cela même ? Se sentir prédestiné : savoir, percevoir que l’on retrouve des traditions poétiques perdues, et, d’autre part, que l’on marque cette vraie renaissance d’un accent nouveau, qui est bien perceptible à toute oreille assez juste, à tout esprit sans prévention, n’est-ce pas à la fois un délice, un tourment, un cher fardeau, dont il est légitime que l’on tire autant d’exaltation et de fierté que d’inquiétude et de trouble, à d’autres heures ? Chemin faisant, Fagus, vous êtes injuste même pour Apollinaire. Il fut extravagant, il est vrai. Il finit par découvrir, à force de bon vouloir, la valeur du goût français. Dans le même temps, ce cosmopolite, cet Européen, servit la France sous les armes : il est ingrat de l’oublier. Oh ! ce ne sont pas des problèmes où il soit bon de trancher à la légère. On devrait coffrer ou expulser un Golberg. Avec un Apollinaire ou un Canudo, il y a lieu de discuter cordialement, sans se laisser entamer, et peu à peu ce sont eux qui s’inclinent, qui penchent, qui sont conquis. Mais un Moréas, par un miracle palpable, il est des nôtres.
Nous avons plusieurs fois analysé le fond des idées de Fagus sur la poésie, mêlant l’approbation aux réserves. Nous y reviendrons lorsque ses études du Divan, des Marges et du Mercure seront recueillies en volume.

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