Orion, « Horace et le Paroissien »

  • Orion, « Horace et le Paroissien », L’Action française, 2 octobre 1922 :

Il faut répondre à Fagus qui gronde.
Couché dans son lit terrestre, où, par bonheur, il peut encore lire et travailler, l’Orionide soussigné voulait auparavant consulter, à la Bibliothèque nationale, Mablin. Mais les jours passent…
Mablin est l’auteur d’un Mémoire, cité par Sainte-Beuve, où la différence prosodique de la quantité et de l’accent est tirée au clair. Au lecteur de se rappeler l’orion d’il y a trois semaines sur les Rythmes antiques de Joseph Bosc. C’est à ce propos que Fagus fait des objections, et à propos du vers de quatorze syllabes, loué dans les sonnets de Céard et chez Métérié, où il est d’ailleurs rarissime.
Que dit Fagus ?
Que la poésie métrique est impossible en France parce que tous les essais ont échoué. Bien. Tous les essais italiens avaient échoué de même avant le XIXe siècle. Vint Carducci, qui réussit. Il réussit d’une certaine manière qu’il fallait justement trouver. Pourquoi veut-on qu’un Français ne fasse pas un jour un autre miracle ? Sa langue ayant peut-être plus de quantité, bien que moins d’accent que l’italienne, il n’est pas évident, a priori, qu’il soit empêché.
Quand ce miracle serait possible, dit encore Fagus, il n’est pas à souhaiter. Là-dessus, ce gothique furieux incrimine l’humanisme. L’imitation des anciens est cause qu’il y a en France deux poésies distinctes et qui, pour leur malheur, ne communiquent point : la savante et la populaire. On accorde à Fagus que ces deux poésies doivent, en effet, communiquer. Qu’il reconnaisse à son tour qu’elles ne sont pas tenues de se confondre. Le cri de désespoir des Stances ne s’adresse peut-être qu’aux esprits et aux cœurs formés par une longue culture. Cela n’empêche pas la chanson du capitaine qui, partant pour la guerre, cherchait ses amours, d’être chose quasi divine. Pourquoi toujours procéder par antinomies ? Qu’il dise aussi, Fagus, si l’influence des Anciens n’est pas un élément de la perfection de Racine ?
D’autre part, il tient que les vers français fondamentaux étant l’octosyllabe et le décasyllabe, l’on a certainement abusé de l’alexandrin. Cela est vrai. Et cependant, l’alexandrin sert toujours ; en certains cas, on a recours à lui comme d’instinct ; il sait être et plus noble et plus familier que les autres coupes. Mais, s’il fallait en croire Fagus, qui a pourtant pratiqué un tas de libertés heureuses, y compris le vers de quatorze pieds, on n’aurait pas le droit d’ajouter aux douze syllabes de l’alexandrin. Jamais. Orion se borne à dire : « Quelquefois, par cas. Le résultat seul est à considérer. »
Car il n’est pas vrai qu’un vers de quatorze pieds soit l’addition de deux vers de sept. A ce compte, un alexandrin serait fait de deux vers de six pieds, et plus l’alexandrin est régulier, plus les deux hémistiches sont tranchés. La vérité est qu’un vers est un vers… Prenez, dans la dernière Revue universelle, l’étonnant Sylla de Daudet. Un soldat y jette une petite chanson qui se termine ainsi : « Thyatire n’est pas le Forum et Fimbria s’en apercevra. » Si les dix-sept syllabes que voilà ne font pas un vers, un seul jet, un seul mouvement de la parole et de l’âme, qu’on dise ce que c’est ! On peut, il est vrai, couper, aller à la ligne, mais par une disposition arbitraire et typographique. C’est tricher.
La pensée profonde de Fagus est que le chant gaulois vient des proses de l’Église, et non pas des païens. Mais les merveilleux poèmes de l’Église, c’est la poésie populaire latine, et, pour en revenir à notre commencement, savant ou populaire, le latin est naturellement accentué. Quelle rage aussi, d’opposer Horace au Paroissien ! Ayez-les tous les deux en tête ; comme, au fait, Fagus.
Quand il est question des libertés que le poète a le droit de prendre, non par système, impuissance ou barbarie, mais dans une occasion donnée, par impulsion du génie, rappelez-vous le dernier tercet du Dies Iræ, qui n’est pas comme les autres.

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